Dix heures du matin : pas de croissants, mais une andouillette ou du jambon persillé ! Privés de clients le soir par le couvre-feu, les Bouchons lyonnais, ces restaurants typiques de la métropole française, renouent avec la tradition du « mâchon », un repas de cochonnailles bien arrosé à déguster le matin.
Au « Poêlon d’Or », au cœur de Lyon, l’ambiance est joyeuse en cette matinée pluvieuse. Sur la table de ce bouchon, de bonnes bouteilles côtoient des plats de saucisson poché au vin rouge, de savoureuses bouchées d’andouillette et purée ou de la cervelle des canuts (un fromage frais aux herbes), dévorés avec appétit par les convives de ce brunch version lyonnaise…
« Même si on a le sourire, la situation est compliquée. On s’adapte aux horaires qu’on nous impose. On essaie, notamment avec le mâchon, de trouver des solutions et de garder le moral », positive son patron Yann Lalle. « Le restaurant, c’est le dernier espace de liberté et de convivialité par les temps qui courent. On ne peut plus voyager, sortir… ».
Carrelage à damier noir et blanc, parquet, boiseries, décoration cuivrée et miroirs anciens, ici, tout respire la tradition, si ce n’est les parois de plexiglas anti Covid installées entre chaque table.
« Ça fait chaud au cœur d’être là. Ce type de rendez-vous peut avoir du succès », renchérit Benoît Josserand, patron d’un autre bouchon, « Le Café du Jura », et président de l’association Les Bouchons lyonnais, à l’origine de ce « revival » du mâchon pour tenter en fin de semaine de contrer (un peu) l’absence de dîners.
Ils sont une dizaine de restaurateurs de l’association à remettre au goût du jour cette tradition lyonnaise, à des horaires inhabituels d’accueil des clients, pour réinsuffler de la convivialité malgré la crise sanitaire et la situation économique si difficile pour eux. Certains perpétuaient déjà cette institution gastronomique, comme Yann Lalle, avant le Covid, Benoît Josserand, sur commande, ou le bouchon « Les 4G ».
Un gros petit-déj
« Il est 10h40, parfait. Ça permet d’oublier un peu le contexte du Covid, de passer un bon moment, boire un coup, manger… C’est en décalage par rapport à d’habitude, mais ça passe très bien ! », s’exclame Benoît Quiblier, producteur de tripes et partenaire de l’association, en levant son verre.
Oubliant quelques instants sa jovialité naturelle, Yann Lalle déplore les restrictions imposées par la crise sanitaire. « On commençait tout juste à redresser la barre et là, patatras, le couvre-feu. La douche froide ! » « On nous sacrifie le soir. Pour les restaurateurs, c’est la prestation la plus intéressante en termes de marge et de profit », relève-t-il. « Mais, bon, on s’adapte aux horaires qu’on nous octroie ». Pour l’instant, il propose le mâchon les vendredis et samedis matin. Pour 25 euros.
« C’est un gros petit-déjeuner ou ça remplace le déjeuner. A six par table et vingt couverts maximum », détaille le patron.
Pour Yann Lalle et ses confrères, « la première vague a été dure à surmonter, la deuxième, ça risque d’être catastrophique ». Pourtant, remarque-t-il, aucun cluster n’a jamais été détecté dans un restaurant. « Nous respectons strictement les gestes barrières. »
La coutume du mâchon vient des canuts, ces tisserands de soie de la Croix-Rousse, sur les hauteurs de Lyon, qui partageaient ces repas dès l’aube, après des heures de labeur. Avant l’épidémie, au « Poêlon d’Or », « on servait des mâchons dans la pure tradition, avec des vignerons qui venaient faire découvrir leurs vins. C’était, avoue le patron, beaucoup plus agité et festif, on passait de table en table, on s’échangeait les plats. Avec les mesures sanitaires, ce n’est plus possible ».
LQ/AFP