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Soho veut rester underground (Vidéo)


La transformation de Soho, quartier festif et interlope au cœur de Londres, en paradis pour riches bobos fait hurler les gardiens du temple.

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Régulièrement, les habitants du quartier de Soho, à Londres, manifestent contre sa transformation. (Photos : AFP)

Soho. Quatre lettres pour un kilomètre carré mythique, royaume des amateurs de musique et de théâtre, empire des papillons de nuits, refuge des gays. Karl Marx y a fomenté sa révolution. Les Who et des légions de groupes de rock y ont découvert la scène. Depuis plus d’un siècle, c’est l’endroit où le bourgeois aime s’encanailler. L’ennui, c’est que désormais il veut aussi y habiter.

Madame Jojo’s, 12 Bar Club mais aussi Pink Pussycat : on ne compte plus les cabarets, salles de musique et bars coquins qui ferment. Chassés par des loyers qui s’envolent et des promoteurs immobiliers qui rêvent de transformer le « village » en foyer pour familles aisées.

À Denmark Street, les boutiques de guitare, où Robert Plant passe encore acheter ses cordes, vont laisser place à une nouvelle bouche de métro de la station Tottenham Road Court. À Walkers Court, une sombre ruelle « suppurante de vagues promesses sexuelles », selon le romancier Howard Jacobson, une seule librairie « rose » résiste encore. Même un ancien commissariat de police est transformé en logements.

« Le quartier est en train de perdre son âme », soupire Kathy Martin, fondatrice des soirées Enigma Ball pour la communauté transgenre. « C’est triste. Soho doit rester sexy », glisse Sara, une des dernières prostituées à exercer dans un appartement signalé par un petit panneau « Models ». Une descente de police fin 2013 a délogé la plupart de ses collègues.

Certains ne regretteront pas la fin des lupanars et des bars à hôtesses où les clients se faisaient plumer, insistant sur le fait que l’exploitation des femmes n’a rien de romantique. Perdre « l’esprit libertin unique » de Soho, son « excentricité nocturne », sa « légère vulgarité et immoralité » serait « un désastre », estime pour sa part l’acteur Stephen Fry.

Au XVIIe siècle, Soho a été une terre d’accueil pour huguenots français, Italiens, juifs, Chinois. Un mélange qui en a longtemps fait le seul endroit à Londres où on pouvait boire un expresso potable ou trouver de l’avocat. Au XIXe, c’est un cloaque malfamé, ravagé par le choléra. Puis, les conditions de vie s’améliorant, le quartier devient bohème. Le rock et la pop britanniques y prennent leur envol. Sexshops et bordels prolifèrent. La communauté homosexuelle s’y épanouit.

> « Une cascade de verre et d’acier »

« Chaque communauté est venue s’additionner, sans jamais en chasser une autre. Mais aujourd’hui on les arrache tranche après tranche pour les remplacer par quelque chose de nouveau. Et ce nouveau n’est pas très beau », grince Tim Arnold. Il avait 4 ans lorsqu’il a participé à sa première Gay Pride dans les jupes de sa mère, Polly Perkins, une figure de la vie nocturne. Il a joué dans tous les bars et toutes les salles de concert du quartier, dont beaucoup ont disparu. « Soho coule dans mes veines », dit-il.

Après avoir fondé « Save Soho », il a contacté des amis célèbres comme les acteurs Stephen Fry ou Benedict Cumberbatch pour devenir audible. Ensemble, ils essayent de raisonner les promoteurs immobiliers pour qu’ils ne dénaturent pas le quartier qu’ils espèrent faire classer.

Impliquée dans plusieurs chantiers pharaoniques, la société « Soho Estates », fondée par feu Paul Raymond, l’ancien « roi de Soho », assure « prendre en compte l’histoire riche et créative » du lieu.

Mais ses projets – « une cascade de verre et d’acier », selon ses détracteurs – inquiètent. Même le conseil municipal de Westminster admet que la résidentialisation est allée « trop loin ». Selon ses chiffres, près de 200 000 m2 de surface commerciale, souvent des petits commerces, a été perdue ces dernières années.

Difficile de lutter contre la loi du marché. Les propriétaires profitent de la flambée des prix pour vendre ou augmenter les loyers. « Je n’arrive plus à suivre. J’ai 73 ans et je voudrais confier le bar à mon fils mais c’est devenu trop cher », grince Sam, le patron du Jazz after night, où Amy Winehouse a fait ses débuts et dont les portraits tapissent les murs. Menacés eux aussi par la mutation.

Le Quotidien (avec AFP)