The Age of Consent de Bronski Beat fête ses quarante ans. Un album connu surtout pour son hymne gay qui a conquis à l’époque les clubs, les cœurs et les enceintes. Aujourd’hui encore, il se fait toujours entendre.
Sauvé de la censure à sa sortie en 1984, Smalltown Boy, tube de l’album The Age of Consent de Bronski Beat, a en quarante ans «dépassé la sphère gay» et résonne toujours dans les combats LGBT+ comme sur TikTok. Retour en arrière : pour promouvoir le disque au départ, London Records, le label qui signe Bronski Beat, décide de démarcher l’incontournable boîte de nuit gay de Londres, le Heaven. La musique démarre, quand «tout d’un coup, nous avons vu la piste de danse devenir de plus en plus silencieuse à mesure que les gens prêtaient vraiment une oreille aux paroles», se remémore Colin Bell, ex-patron du label et dénicheur du groupe emmené par le charismatique Écossais Jimmy Somerville.
Smalltown Boy a en effet tout pour plaire au public britannique, réveillé par le punk de la décennie précédente, mais de plus en plus friand de new wave et de «high energy», un courant du disco mêlé de musique électronique. La voix agile et de haute-contre de Jimmy Somerville, qui officiera plus tard avec The Communards, fait le reste. «Puis contre toute attente, le DJ a fait une chose qu’il n’avait jamais faite auparavant : il a rejoué le disque juste après», enchaîne Colin Bell. «C’est à ce moment-là que nous avons su qu’il se passait quelque chose de spécial.» London Records marche pourtant sur des œufs, dans une Angleterre où l’homosexualité est dépénalisée, mais où l’âge du consentement – «the age of consent» – était alors de 21 ans contre 16 ans pour les hétérosexuels.
Sauve-toi, détourne-toi
La chanson doit pourtant impérativement passer à la radio et le clip à la télévision pour lancer Bronski Beat, à peine né. «Nous leur avons demandé de modérer certaines des choses qu’ils devaient faire pour que les enregistrements soient diffusés», explique Colin Bell. Des «compromis» indispensables quand, la même année, Frankie Goes to Hollywood voyait sa chanson Relax interdite des ondes de la BBC, car jugée obscène. Malgré un tempo entraînant, les paroles sont graves : qu’importe les risques, s’extraire de l’étau parental impose une fuite aussi douloureuse que nécessaire pour affirmer son identité. «Sauve-toi, détourne-toi», répète en boucle Somerville.
«Ça ne signifiait pas seulement qu’un garçon gay était battu et ramené à ses parents. Ça aurait pu être une femme, une fille, n’importe qui», précise l’ancien dirigeant de London Records, soulignant que le morceau propose divers degrés de lecture. «Je suis assez étonné par l’adhésion, homosexuelle ou hétérosexuelle, de toutes les générations pour Smalltown Boy», observe Patrick Thévenin, journaliste spécialisé dans la musique et la culture LGBT+. «C’est un classique de l’émancipation gay, du « coming out », mais sa véritable force est d’avoir dépassé tous les clivages de genre et de sexualité», ajoute-t-il.
L’album The Age of Consent s’affirme comme un subtil plaidoyer jusqu’au design de sa pochette : le triangle rose, symbole discriminatoire nazi utilisé ensuite par Act Up, est retourné et accolé à un carré jaune et un rond bleu. Mais «ce disque a dépassé la sphère gay depuis longtemps», ce qui prouve que «la société progresse», estime encore Patrick Thévenin. Et ce, même si des agressions homophobes et actes anti-LGBT+ rappellent que certains combats restent actuels. Cumulant 122 millions de vues sur YouTube, Smalltown Boy bénéficie d’un regain de popularité sur les réseaux sociaux, dont TikTok : le «Smalltown Boy Parent 80’s Challenge» montrent ainsi des parents qui exécutent, souvent sur demande de leur progéniture, les pas de danse caractéristiques du chanteur.
Déjà en 2017, la chanson culte avait connu une nouvelle jeunesse dans une version remixée par Arnaud Rebotini, sur la bande originale de 120 battements par minutes, le film de Robin Campillo (Grand Prix à Cannes) justement sur le militantisme d’Act Up dans les années sida. Et récemment, c’est le duo Perfume Genius-The Knocks qui s’y est mis. Samedi à Londres, trois manifestations sont prévues sous forme de marches, puis des artistes queers se partageront la scène du Queen Elizabeth Hall, pour célébrer ces quarante ans. La présence de Jimmy Somerville, désormais éloigné du monde médiatique, n’est toutefois pas attendue. Par contre, son morceau, lui, est plus que jamais vivant.