Sortie le 27 décembre en Chine, Blossoms Shanghai déchaîne les passions. Non pas parce qu’elle est signée du célèbre Wong Kar-wai, mais en raison de l’usage de la langue locale de Shanghai, dont la pratique refait surface.
Une série télévisée chinoise de Wong Kar-wai, située dans le Shanghai des années 1990, a déclenché un engouement nostalgique pour le passé de la ville et son dialecte qui se raréfie. Avec Blossoms Shanghai, le cinéaste hongkongais fait ses débuts sur le petit écran, en racontant l’ascension d’un inconnu devenu magnat des affaires en pleine ouverture économique de la Chine. Les superstars chinoises Hu Ge et Ma Yili sont au casting, mais c’est la langue locale shanghaïenne, parlée par leurs personnages, qui leur vole la vedette.
La langue locale de Shanghai était autrefois un marqueur distinctif entre les locaux et les étrangers dans le centre financier chinois. Encore parlée par environ 14 millions de personnes, elle a largement disparu de l’usage quotidien et professionnel, après des décennies d’efforts du gouvernement pour promouvoir le mandarin. «Ça m’a rappelé des sentiments familiers et je me suis sentie très heureuse que nous, les Shanghaïens, ayons désormais notre propre série télévisée», indique Xie Niyun, 22 ans, en photographiant une exposition consacrée à la série devant le Peace Hotel de Shanghai.
Tutoriels sur internet
Le mandarin est la langue officielle de la Chine, mais ses 1,4 milliard d’habitants parlent aussi des dizaines d’autres langues régionales. Pékin les qualifie officiellement de dialectes, même si les linguistes considèrent que beaucoup d’entre elles peuvent être considérées comme des langues autonomes. La série Blossoms Shanghai, sortie le mois dernier, fait sensation car elle peut être regardée en mandarin ou en shanghaïen. Sur les réseaux sociaux, des tutoriels sur des expressions en shanghaïen et des discussions sur l’exactitude du vocabulaire employé dans la série, sont apparus et se sont multipliés.
Ce buzz rappelle celui provoqué par la comédie romantique B for Busy de 2021, qui avait des dialogues en shanghaïen. Mais la notoriété de Wong Kar-wai et de ses acteurs a encore amplifié le phénomène. Les fans affluent vers les lieux de tournage du centre de Shanghai, du Peace Hotel, presque centenaire, au théâtre Cathay de style Art déco. Dans toute la ville, des visites et des menus thématiques cherchent à profiter de la popularité de la série, tandis que les plats consommés à l’écran s’arrachent, selon les sites de livraison.
La version en mandarin n’a pas tout à fait la même saveur!
En regardant Blossoms Shanghai, «j’ai l’impression de revivre les jours heureux de nos parents, quand ils avaient notre âge», souligne Duan, trentenaire vivant de longue date à Shanghai. Même si elle a besoin de sous-titres, elle dit préférer la version en shanghaïen, parce que «la version en mandarin n’a pas tout à fait la même saveur!». Il en faudrait plus cependant pour relancer la pratique du shanghaïen. Le Parti communiste au pouvoir considère en effet le mandarin comme un outil unificateur pour promouvoir ses valeurs politiques et son idéologie, et cherche à brider les langues régionales.
Cette politique suscite des protestations du Guangdong, dans le sud, jusqu’en Mongolie intérieure, et les ONG de défense des droits de l’homme soulignent que la langue ouïghoure du Xinjiang est progressivement remplacée par le mandarin. Même si les dialectes ne sont pas totalement interdits, le mandarin est utilisé en priorité dans les écoles, les affaires et les communications officielles, prenant le pas sur les langues locales, en particulier auprès des jeunes.
«C’est une culture enracinée à Shanghai»
À Shanghai, la décision du gouvernement en 1992 d’interdire le shanghaïen dans les écoles a provoqué une «crise du patrimoine», selon Qian Nairong, éminent linguiste. Le mandarin est désormais la langue principale de la ville, malgré des efforts pour réintroduire la langue locale dans les annonces des transports publics et des activités parascolaires. Dans une petite école de langues de l’ancienne concession française, Jason Wang avec une poignée d’enseignants, propose des cours de shanghaïen à des étudiants, qui sont cependant principalement étrangers.
Le manque de manuels scolaires modernes est un problème ainsi que le manque de méthode standard pour transcrire les sons du cette langue, regrette-t-il. Jason Wang espère entendre plus de shanghaïen dans les films et la musique, car, relève-t-il, la grande popularité de la culture de Hong Kong a poussé certains à «apprendre le cantonais parce qu’ils aimaient tellement la musique cantonaise». Dans les rues de Shanghai, Yu, un sexagénaire, se dit optimiste sur un retour progressif au dialecte. «C’est une culture enracinée à Shanghai, elle ne doit pas être perdue!», assure-t-il.