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Sexe, mensonges et idéaux


Une femme se venge de son mari en faisant appel à une prostituée qui doit le séduire. C’est Nathalie Ribout, texte au parfum sulfureux de Philippe Blasband, mis en scène par Joël Delsaut. À voir au Théâtre National de Luxembourg… pour les plus de 16 ans !

Quand on évoque Nathalie Ribout – titre renforcé ici par le sous-titre Le sexe comme arme de vengeance, afin, dixit le metteur en scène, d’en accentuer l’impact – l’histoire procure une impression de déjà-vu : citons Les Dames du bois de Boulogne de Robert Bresson (1945) ou le plus récent La Tectonique des sentiments, d’Éric-Emmanuel Schmitt (2008). Dans le lot, on trouve forcément le film Nathalie… (2003), avec le trio Ardant-Béart-Depardieu, qui a directement inspiré Philippe Blasband pour l’adaptation théâtrale.

Si le Centaure, par l’entremise de sa directrice Marja-Leena Junker, a jeté son dévolu sur une autre de ses pièces – Une liaison pornographique, qui sera présentée cette année à Avignon – Joël Delsaut, pour sa part, a été convaincu par Caty Baccega et Valérie Bodson de mettre en scène cette œuvre oppressante. Ce qu’il a fait, non sans surprise… « Les termes employés sont assez crus, mais derrière ce langage, l’auteur pose une réflexion magnifique sur l’être humain. »

C’est aussi ce qui a motivé les deux comédiennes, impressionnées par cette écriture sans ambages. « Elle est très cinématographique, ce qui implique une approche différente en termes de jeu, précise Valérie Bodson, qui poursuit : C’était aussi un challenge pour toutes les deux, sachant que l’on est très loin de ces personnages. » Cette dernière incarne en effet Sonia, cantatrice renommée, en instance de divorce et lâchée en pleine dépression par son mari.

Victime, donc, mais tout autant manipulatrice, elle va recruter une prostituée, Nancy, afin de se venger de son ex-conjoint. Le contrat est simple : en échange d’une belle somme d’argent, Nancy, baptisée alors Nathalie Ribout, doit séduire Jean-Luc, entretenir avec lui une relation d’un mois et tenir Sonia au courant de tous les détails. Mais la manipulation devient pour le moins complexe lorsque la prostituée prend son rôle trop à cœur, le mari s’implique dans cette nouvelle relation et la femme se retrouve seule face à sa souffrance…

Oreilles chastes s’abstenir !

« À mes yeux, le plus intéressant est le basculement de deux protagonistes, lâche Valérie Bodson. À savoir comment Nancy glisse progressivement dans la peau d’une autre, tandis que Sonia, elle, sombre dans l’autodestruction. » Un duel entre deux personnes que tout oppose – « l’une a réussi, l’autre a renié tous ses rêves et envies » – qui a inspiré le metteur en scène. « Tout est porté par ce duo, qui sera là comme sur un ring, dans une distance intimiste avec le public. »

Et l’homme, cette racine du mal, dans tout ça ? Eh bien, contrairement au film, il n’apparaît pas, mais hante les débats et oriente les regards au simple son de sa voix. « C’est la grande trouvaille de Philippe Blasband par rapport au film, s’exclame le metteur en scène. Ici, il n’existe pas physiquement, ce qui apporte une grande part de fantasme et appuie le côté trompeur de la réalité. » Des interventions que la comédienne juge même « perturbantes ».

On l’aura compris, Nathalie Ribout, en entrant dans les méandres psychologiques de ces femmes « cabossées », aborde, certes, les notions de manipulation et de mensonge, mais également le « pouvoir que l’on peut avoir sur l’autre ». Peut-on contrôler un être humain quel qu’il soit ? Est-ce que l’autre a réellement voulu nous détruire ? La vengeance apporte-t-elle le réconfort attendu ? Autant de questions auxquelles se confrontent les deux femmes, entre Sonia, qui va jusqu’au bout de son fantasme masochiste, et Nancy, bien plus futée qu’on ne le croit…

Reste cette interdiction aux moins de 16 ans qu’explique Joël Delsaut : « Il y a des descriptions chirurgicales d’actes sexuels, et dans ce sens, je ne voulais pas dégoûter le jeune public. Mais attention, ça n’est pas vulgaire ! » Valérie Bodson synthétise : « C’est beaucoup plus cruel que cru ! » Oreilles chastes, donc, s’abstenir ! Mais ce qui se passe au-dessous de la ceinture n’est rien à côté de l’amitié qui se tisse entre les deux femmes. « Nous avons le choix, peu importe comment la vie a commencé », s’exclame l’une d’elle. Et si la vengeance n’était en réalité qu’une renaissance ?

Grégory Cimatti

Au TNL – Luxembourg. Demain et samedi à 20h.
Le 31 mars et les 8, 15 et 25 avril, toujours à 20h.