Cette semaine, Le Quotidien a choisi de regarder la nouvelle série The Chair Company, disponible sur HBO.
Qu’il soit camouflé sous une couche de prothèses pour les besoins d’une caméra cachée ou engoncé dans un déguisement de hot-dog, les personnages qu’interprétait Tim Robinson dans sa géniale série I Think You Should Leave (Netflix) vivent constamment dans cette zone grise entre le malaise et le ridicule.
Ils cachent leur extrême insécurité derrière un besoin de reconnaissance, puis la trahissent par leur comportement imprévisible. Dans un des sketches de la série, un cadre d’entreprise joué par Robinson s’assoit là où ses collègues ont caché un coussin péteur. Vexé tout rouge, il s’emporte dans une tirade incendiaire et hilarante sur la nocivité de ses (vraies) flatulences.
Dans un autre, où il joue sensiblement le même personnage, cette fois dans le décor d’un tribunal, il assiste à la découverte de messages privés entre ses collègues, jugés pour délit d’initiés, qui échangent surtout pour se moquer de l’affreux fédora qu’il porte au bureau.
Ron Trosper, le protagoniste qu’interprète Tim Robinson dans sa nouvelle série, The Chair Company (à nouveau coécrite avec Zach Kanin), est le digne héritier de ces hommes névrosés et émotionnellement immatures. Un père de famille rangé, chef de projet pour une société immobilière, résident sans histoire d’un «suburb» anonyme près d’une ville moyenne de l’Ohio, qui n’a besoin que d’un début d’étincelle pour vriller complètement.
Ou, en l’occurrence, d’une bête chute en public, après que sa chaise s’est brisée en mille morceaux lors d’une importante présentation professionnelle. Se sentant humilié et fragilisé au sein de son entreprise, Ron commence à enquêter en secret sur le fabricant de chaises : commence alors un voyage complotiste à lui faire perdre la tête.
À la fois la comédie la plus originale de l’année et un excellent thriller paranoïaque
En passant d’une compilation de brefs sketches à une narration soutenue sur neuf épisodes, le mécanisme humoristique semble être le même pour Tim Robinson et Zach Kanin : ils scrutent leur personnage dans les instants les plus anodins de sa vie comme dans les plus dangereux, chaque rencontre ou situation guidée à la force de son côté obsessionnel et débouchant sur une catastrophe pire que la précédente.
Mais Ron n’est pas exactement l’anomalie que l’on pourrait croire : il n’est, en réalité, qu’un rouage récalcitrant dans un monde aseptisé. Comme le fabricant de chaises Tecca, le petit monde idéal qui l’entoure n’existe pas vraiment – sinon sous la forme d’un simulacre que jouent les êtres qui l’habitent, tous défaillants à leur échelle. Car Ron va rencontrer du monde en remontant la trace de la mystérieuse société : un acteur raté, de riches investisseurs…
Sans oublier le truculent Mike (Joseph Tudisco), un agent de sécurité propulsé dans la vie de Ron comme son seul allié dans sa quête. Mike est plus âgé, vit seul et passe ses journées à écouter du porno en podcast (!), mais les deux se reconnaissent pour les blessures et les insécurités qu’ils partagent. Ce qui n’enlève rien à sa face sombre et son caractère foncièrement dangereux.
On pense en réalité moins à I Think You Should Leave (ou tout autre exemple de comédie «cringe») qu’aux thrillers paranoïaques des années 1970 (pour le mystère labyrinthique), à Severance et au documentaire Telemarketers (pour le complot dans le milieu de l’entreprise), sans oublier Breaking Bad (pour ce personnage en crise se sentant investi de la mission de protéger sa famille, mais qu’il met en fait constamment en danger).
Plus largement, The Chair Company nous évoque la période américaine de Quentin Dupieux – notamment Wrong (2014) et Réalité (2014), deux voyages loufoques et surréalistes racontés sur le ton du thriller. Le récit, construit (pour le dire grossièrement) comme une série de sketches imbriqués les uns dans les autres, est entièrement tenu par son sens de l’étrangeté.
À ce titre, le premier garant reste ce héros compulsif au visage placide et aux colères volcaniques – peut-être le meilleur personnage de comédie «cringe» jamais inventé? Il faut aussi donner du crédit à toutes les divagations et aux voies sans issues empruntées dans le scénario, qui rendent l’ordinaire toujours plus mystérieux et ouvrent l’horizon de la série à des idées plus profondes sur l’état de notre société esclave du numérique et sur les rapports humains.
Non contente d’être l’une des meilleures comédies de l’année (et assurément la plus originale), The Chair Company est aussi un excellent thriller. Et tant mieux si sa folie cataclysmique, qui se poursuivra dans une saison 2, déboule sur les écrans juste avant les tops de fin d’année : il n’y a là pas de quoi crier au complot.