Dans une série documentaire en cinq parties, Lauren Greenfield raconte les réseaux sociaux à hauteur d’adolescents. Une immersion bouleversante dans la vie numérique de la génération Z.
Voilà une série documentaire qui tombe à pic : à l’heure où les alertes sur la dangerosité des réseaux sociaux se multiplient des deux côtés de l’Atlantique, Social Studies propose une immersion aussi émouvante qu’effrayante dans la vie numérique de la génération Z. La réalisatrice américaine Lauren Greenfield a ainsi filmé le quotidien de dizaines d’adolescents de Los Angeles, qui ont partagé pendant une année scolaire le contenu de leurs smartphones. Une expérience inédite pour un triste constat.
«Plusieurs ont des sentiments mitigés à l’égard des réseaux sociaux et sont très conscients des effets, pour la plupart négatifs, qu’ils ont sur eux», résumait la documentariste de 58 ans lors d’une conférence cet été. En cinq épisodes d’un peu moins d’une heure, le téléspectateur découvre à quel point l’adolescence est particulièrement difficile à traverser dans un monde gouverné par les algorithmes.
Les destins entremêlés de ces jeunes âgés de 16 à 20 ans révèlent la pression sociale permanente induite par les plateformes. On rencontre par exemple Sydney, qui multiplie les tenues révélatrices sur son compte Instagram pour avoir des likes, Jonathan, élève studieux incapable d’intégrer les universités d’élite et immédiatement confronté aux stories des heureux admis, ou encore Cooper, perturbée par des comptes qui glorifient l’anorexie. «Je crois que plein d’adolescent(e)s se sentent comme de la merde à cause des réseaux sociaux, mais ils ne savent pas comment s’en passer», lâche cette jeune Américaine.
Cercles de parole
L’accès au contenu des comptes personnels de chacun offre un rare aperçu de l’univers dématérialisé qui façonne l’imagination de la première génération née avec les plateformes. On y voit comment les jeunes modifient leurs corps en un glissement de doigts avant de publier des photos, la panique qui s’empare d’un lycée à cause de rumeurs sur une fausse fusillade ou l’influence sur leurs premiers ébats de pratiques sadomasochistes exaltées en ligne.
«C’est difficile de différencier ce qu’on vous a mis dans la tête et ce que vous aimez vraiment», confie une jeune fille lors d’une discussion collective filmée. Émouvants, ces cercles de parole entre adolescents rythment toute la série. Ils révèlent les contradictions entre l’image projetée par les jeunes en ligne et leurs aspirations réelles : ils se plaignent de harcèlement, du manque de régulation des réseaux et des normes de beauté matraquées sur leur smartphone.
Adolescents «experts»
«Si je vois des gens avec des abdominaux, je me dis : « Je veux ça. Parce que peut-être que les gens m’aimeraient plus »», soupire un adolescent. Le documentaire ne tombe pas non plus dans le catastrophisme. Il montre également une adolescente transgenre en rupture avec sa mère, qui trouve une seconde famille grâce aux plateformes, ou un jeune DJ qui y promeut ses soirées. Mais il dresse surtout le portrait d’une génération déboussolée face au grand tourbillon numérique.
À 17 ans, Ivy s’avoue ainsi «anxieuse» et quitte les réseaux sociaux pendant ses vacances. Mais elle se révèle incapable de vivre sans sur le long terme. «Les experts, ce sont les adolescents», insiste Lauren Greenfield, qui a abordé ce projet «sans idée reçue» et a volontairement exclu d’interviewer des psychologues ou des informaticiens. Sans voix off, cette série, qui a débuté vendredi sur la chaîne américaine FX – et sera disponible ultérieurement sur Disney+ dans certains pays à l’international – ne profère pas de jugements. Mais elle résonne avec de multiples alertes sanitaires.
«Mesures collectives»
En France, le président Emmanuel Macron avait ainsi plaidé en juin pour interdire l’usage du téléphone avant onze ans et des réseaux sociaux avant quinze ans, après la remise d’un rapport soulignant «l’hyperconnexion subie» des enfants. Aux États-Unis, le médecin-chef du pays réclame officiellement que les réseaux sociaux publient des avertissements, comme pour la cigarette, «pour alerter des dangers importants qu’ils représentent pour la santé mentale des adolescents».
L’interdiction du smartphone à l’école devient aussi l’un des rares consensus politique aux États-Unis. La Floride, dirigée par un républicain, l’a mise en place, et le gouverneur démocrate de Californie a promulgué une loi en ce sens. «Les mesures collectives sont le seul moyen d’agir», approuve Lauren Greenfield. Les jeunes disent tous que «si vous êtes le seul à vous déconnecter, vous perdez votre vie sociale».
Social Studies, de Lauren Greenfield. Actuellement sur FX.