Retour à la Cité de Dieu, 22 ans après le film culte de Fernando Meirelles et Kátia Lund, avec une série qui veut montrer la «face cachée» de la favela, celle de la résistance.
Deux décennies après la sortie du film éponyme, en 2002, la Cité de Dieu n’a pas fini de faire couler de l’encre. Le quartier, situé dans l’ouest de Rio de Janeiro, est devenu le symbole des favelas brésiliennes, grâce au livre semi-autobiographique de Paulo Lins, publié en 1997, et surtout, donc, à son adaptation sur grand écran cinq ans plus tard par Fernando Meirelles et Kátia Lund. Une déflagration à échelle mondiale qui en fait un phénomène de société. Le monde découvre la misère et la violence dans les bidonvilles cariocas et, en retour, le succès de Cidade de Deus, qui traduit une réalité encore vive, a un impact sur la «politique de sécurité intérieure» du président Lula à peine élu, racontait en 2003 Fernando Meirelles dans une interview au site spécialisé Slant.
Son style – la caméra portée, les acteurs non professionnels, la représentation de la violence, l’omniprésence de la musique et l’image surexposée – et ses personnages cultes – les chefs de gang ennemis Zé Pequeno et Mané Galinha, le gangster cool Bené – font aussi du film une référence de la pop culture. Si le réalisateur note qu’en 2002, l’état des favelas «est pire que dans les années 1980, quand le film se termine», la situation a bien évolué depuis, en bien comme en mal. Car le regard que l’on porte sur les favelas, lui, n’a pas changé.
À preuve : la série Cidade dos Homens (2002-2005, puis deux saisons supplémentaires en 2017 et 2018), elle aussi pilotée par Fernando Meirelles et Kátia Lund, et un film du même nom en 2007 replongent dans la misère et les espoirs d’un personnage secondaire du film. Et un documentaire, Cidade de Deus : 10 anos depois (Cavi Borges et Luciano Vidigal, 2013), qui vaut bien un constat : celui que la quasi-totalité de son casting est resté prisonnier de sa condition sociale et du privilège blanc. Seuls Seu Jorge (Mané Galinha), déjà un musicien célèbre en 2002, et Alice Braga (Angélica), devenu un visage familier à Hollywood, ont profité d’une carrière post-Cidade de Deus.
«Réaction de la population»
Les vingt ans qui séparent les faits racontés dans Cidade de Deus et dans sa suite en série (six épisodes), Cidade de Deus : A luta não para, dont la diffusion a débuté fin août sur Max, amènent les personnages au début des années 2000, soit… au moment du triomphe de Cidade de Deus. «Dans le premier film, nous donnions à voir la privation et le manque de ressources», analyse Fernando Meirelles, aujourd’hui producteur de la série dirigée par Aly Muritiba. «La grande menace dans le film était le trafic de drogue. Ce que l’on voit ici, c’est l’arrivée des milices, qui ont certes expulsé les trafiquants mais qui ont pris le contrôle», dont une faction de flics ripous. «La série montre la réaction de la population», et comment les membres de la communauté «prennent leur destin entre leurs mains».
Dans cette suite réapparaissent dans les rôles principaux le héros, Buscapé (Alexandre Rodrigues), devenu photographe de presse, Berenice (Roberta Rodrigues), engagée au sein de la communauté, et Lampião (Thiago Martins), tout jeune membre de gang dans le premier film, ici fraîchement sorti de prison et qui tente de récupérer son territoire.
La série, comme le film, est racontée à travers le personnage de Buscapé, mais «la perspective est celle du pouvoir de la communauté (…) c’est ce point de vue qui manquait dans le film original», a déclaré Alexandre Rodrigues au média brésilien Omelete, en marge de la première de la série. Si, en 2002, «beaucoup de gens disaient qu’ils ne savaient même pas que la réalité (de la favela) existait», Roberta Rodrigues note qu’«aujourd’hui on ne peut plus dire ça, tout le monde est bien informé». «Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est de (montrer) qu’il y a de l’affection, de la lutte, de la résistance, de la politique», et que l’histoire de Cidade de Deus n’est pas seulement celle du banditisme érigé en maître.
Références et renouveau
Enfants, les membres du casting original avaient «très peu de références de gens de la même appartenance ethnique ou de la même couleur de peau», glisse Alexandre Rodrigues. «La référence que l’on représente aujourd’hui – moi, Roberta et d’autres – envoie un message à ceux qui vivent dans les communautés et les endroits loin de l’attention du public : nous pouvons asseoir notre pouvoir, nous pouvons rêver et, surtout, nous pouvons réaliser nos rêves et en vivre.»
Le retour de Buscapé dans la Cité de Dieu ne montre pas moins l’aggravation de la situation en termes de trafic et de crime, mais la drogue et la violence sont généralement laissés hors champ. Comme le dit l’un des personnages, «il est temps que Rio découvre la face cachée du bidonville». Ce que la série fait, en utilisant les mêmes secrets que le film de Lund et Meirelles : la caméra portée et frénétique est de la partie, tout comme les nombreux jeunes acteurs castés dans les favelas, et notamment dans celle du titre. À l’instar de Luellem de Castro, actrice et chanteuse qui joue la fille de Buscapé, en décalage complet avec son père : «Quand je pense aux films avec des Noirs dans la favela, je continue de penser qu’on ne montre que les coups de feu, le sang, mais pas le sourire. Notre série arrive avec beaucoup de sourires (…) et montre que nous sommes tristesse, mais nous sommes aussi pouvoir.»
Cidade de Deus : A luta não para, d’Aly Muritiba. Max.