Et si la célèbre Isabelle de Merteuil, figure iconique de manipulation des Liaisons dangereuses, devenait un symbole d’émancipation au XXIe siècle ? C’est le pari osé de la réalisatrice Jessica Palud. Découverte.
La réalisatrice Jessica Palud résume sa nouvelle production de la sorte : «C’est un peu le #Metoo du XVIIIe siècle !» Merteuil revisite en effet Les Liaisons dangereuses avec un regard féministe, en imaginant la jeunesse de la marquise libertine au centre du célèbre roman. Cette série s’inspire du monument de la littérature française publié par Pierre Choderlos de Laclos en 1782. Son roman sur les machinations entre le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil, deux ex-amants rivalisant de perfidie pour pervertir les membres de l’aristocratie, a déjà été adapté de multiples fois.
Le film d’époque éponyme de Stephen Frears (1988), avec Glenn Close, Michelle Pfeiffer et John Malkovich, a notamment marqué les esprits. Tout comme Cruel Intentions (1999), qui transposait l’intrigue dans le New York bourgeois contemporain. Produite par HBO Max et disponible dès vendredi en streaming, la série prend un parti différent : explorer les jeunes années de la marquise en détaillant les épreuves qui feront d’elle une veuve manipulatrice, à l’esprit libre et aux mœurs légères.
Blessure intime
En six épisodes, Merteuil chronique l’émancipation d’«une jeune femme humiliée, qui ne va plus supporter ces agressions, ce monde extrêmement masculin. Elle va vouloir exploser tous les codes», explique Jessica Palud. L’actrice Anamaria Vartolomei (Le Comte de Monte-Cristo, Mickey 17) incarne cette héroïne vengeresse : Isabelle Dassonville, une roturière pieuse et ardemment courtisée par Valmont (Vincent Lacoste). Le vicomte met en scène un faux mariage pour lui arracher sa virginité, avant de disparaître.
Cette blessure intime pousse la jeune femme à s’éduquer pour partir en guerre contre la gent masculine. Sans pour autant échapper à la violence patriarcale, entre tentatives de viol, relations forcées avec le marquis de Merteuil – un noble grisonnant qu’elle épouse par intérêt – ou avortement dissimulé. «Peu de choses finalement ont changé», depuis cette époque pour les femmes, regrette Anamaria Vartolomei. «C’est un récit qui peut paraître intemporel. Et s’il l’est, c’est qu’il est encore et toujours d’actualité, malheureusement.»
C’est un peu le #Metoo du XVIIIe siècle !
Pour la guider dans son apprentissage aristocratique et libertin, la série étoffe le rôle de Madame de Rosemonde, la tante de Valmont. Ce personnage très secondaire du roman s’impose ici comme une figure centrale, grâce à Diane Kruger, impeccable en mentor transmettant son machiavélisme charmeur à sa protégée. «Cessez de sourire aussi bêtement, seules les catins se laissent regarder ainsi. Séduire n’est rien, vous devez apprendre à maîtriser les hommes», lance-t-elle dès le premier épisode.
Dans Merteuil, il sera donc aussi question de patriarcat toxique. «À un moment, mon personnage dit à une autre : « Vous, sainte, moi putain, on a juste choisi un masque et une armure pour se protéger des hommes »», décortique Anamaria Vartolomei. Pour «se sentir libre» à l’époque, une femme se dirige «vers la foi, pour ne pas céder à un mariage forcé» ou, «à l’inverse», entre «dans le libertinage pour sentir le pouvoir de son propre corps, la possibilité de se donner à qui elle souhaite, quand elle le souhaite», déroule l’actrice.
«Ce rapport entre les femmes, ça, c’est une invention libre par rapport aux Liaisons dangereuses», observe Jessica Palud, qui dirigeait déjà Anamaria Vartolomei dans Maria, biopic consacré à Maria Schneider, l’actrice humiliée par Marlon Brando lors du tournage du Dernier Tango à Paris. «C’est la modernité de cette histoire», complète la réalisatrice. Au fil des épisodes, la cinéaste décortique le sexe comme lieu de pouvoir : Isabelle de Merteuil manipule, séduit pour asseoir ou ruiner les réputations à la cour du roi.
«Dans le fond, ce sont des ratés»
«C’est une sorte de cour d’école !», remarque Jessica Palud en traçant un parallèle avec les interactions parfois brutales des adolescents, notamment sur les réseaux sociaux. En ligne, «on peut abîmer les gens extrêmement vite aujourd’hui et j’ai l’impression qu’on a essayé de mettre des choses comme ça aussi dans la série», poursuit-elle. L’intrigue rejoint progressivement celle du roman originel, sans pour autant la reproduire à l’identique. Attirés l’un par l’autre, mais trop épris de liberté pour renoncer à leurs stratagèmes, Merteuil et Valmont vont faire un pari dangereux.
«On les voit un peu comme des héros parce qu’ils sont en apparence vaillants et puissants», relève Anamaria Vartolomei. «Mais dans le fond, ce sont des ratés presque parce qu’ils s’interdisent tellement de choses. Ils sont tellement fébriles à l’idée de se révéler à eux-mêmes que ça en devient presque absurde.» «Et c’est peut-être cette absurdité qui résonne encore avec eux aujourd’hui», conclut l’actrice.
Merteuil, de Jessica Palud. Dès vendredi sur HBO Max.