Plus de quarante ans après son film culte, Mel Brooks fait son retour à 96 ans avec History of the World Part II… en série!
L’empreinte laissée par Mel Brooks, en 2014, sur le célèbre Hollywood Walk of Fame, a une particularité : ce ne sont pas dix, mais onze doigts qui sont marqués dans le béton. L’éternel immature, alors âgé de 88 ans, n’allait pas manquer l’occasion de tourner un moment iconique en une vaste blague, avec l’humour burlesque qui le caractérise, débarquant sur Hollywood Boulevard avec un faux doigt collé à la main gauche. Depuis des décennies, voilà qu’il répète que son enfance était le meilleur moment de sa vie. L’humour politiquement incorrect et joyeusement crasse, il en a fait sa spécialité, obsédé qu’il est par les blagues sur le pénis, les flatulences et les jeux de mots. Dans moins de deux semaines, Mel Brooks soufflera ses 97 bougies, mais reste, dans l’âme, le gamin farceur de Brooklyn, tel qu’il le donne à voir dans History of the World Part II, la série qui donne suite, quarante-deux ans plus tard, à son film culte.
Le titre du film sorti en 1981, History of the World Part I, était une de ces plaisanteries que Mel Brooks affectionne, car elles pointent du doigt les dérives capitalistes des studios dans un système de production motivé par l’appât du gain. On le verra plus tard dans Spaceballs (1987), sa géniale parodie de Star Wars, où, grimé en maître Yoda, il présente une ribambelle de produits dérivés, «là où se font les vraies recettes du film», avant de résumer une possible suite sous-titrée «À la recherche de plus d’argent». Souvent confronté à des patrons intrusifs, Mel Brooks ne s’est jamais compromis.
Seulement, voilà que sa meilleure blague s’est retournée contre lui, lorsque la plateforme de streaming Hulu, contrôlée par Disney, lui a proposé, en 2020, de sortir de sa retraite pour réaliser History of the World Part II, au format d’une minisérie de huit épisodes. Le réalisateur, toujours prêt à se marrer (c’est sans doute à cela qu’il doit sa longévité), a trompé l’ennui du confinement en allant piocher dans son matériel inédit et en s’entourant – sur Zoom – d’une bande de joyeux lurons : les humoristes Nick Kroll, Ike Barinholtz et Wanda Sykes, tous issus de la génération post-Saturday Night Live. Et ont brainstormé ensemble la suite de cette folle histoire du monde. «J’ai ri à des blagues que je n’avais pas créées, ce qui est très bizarre venant de moi», admettait Mel Brooks dans le New York Times, en mars. Ike Barinholtz, qui, comme ses collègues, écrit, réalise et joue dans les huit épisodes, juge qu’un rire décroché à Mel Brooks équivaut à «la main de Dieu qui vient nous tapoter le dos».
Hitler renfile ses patins
Dans History of the World Part I, Brooks partait des premiers hommes préhistoriques jusqu’à la révolution française pour faire le récit déjanté de différentes époques et d’évènements historiques célèbres, et de comment ils ne se sont pas déroulés. L’évolution du singe en homme lorsqu’il découvre la masturbation, Moïse qui proclame les dix commandements après qu’une troisième tablette de cinq commandements lui glisse des mains et se brise, l’Inquisition espagnole racontée sous la forme d’un numéro musical…
Mel Brooks se permet tout : anachronismes, humour juif new-yorkais, gags enfantins (un gladiateur dérape sur une peau de banane…), et glisse même un aperçu de sa figure comique la plus chère, Adolf Hitler, dont il imagine le spectacle «Hitler on Ice», avec le dictateur faisant des figures de patinage artistique au son du Beau Danube Bleu. En 1944, Mel Brooks, âgé de 18 ans, a été envoyé à la guerre, a combattu les nazis pendant la bataille des Ardennes et est resté plus d’un an en poste en Allemagne en tant que démineur; occasionnellement, il animait les soirs de spectacles organisés par l’armée américaine, invitant parfois des citoyens allemands de villages libérés à se produire avec lui sur scène. Depuis, il a souvent tourné le dictateur en ridicule, notamment dans son premier long métrage, The Producers (1968). «J’ai essayé d’être quitte avec Hitler en me moquant de lui, mais j’ai encore du mal», plaisante-t-il aujourd’hui.
«Hitler on Ice» est de retour dans History of the World Part II, avec des commentateurs sportifs qui glissent une vraie formule à la Mel Brooks : «Quand on envoie des gens en camps de concentration, il vaut mieux patiner comme un dieu!» Signe que l’insolence continue de briller dans cette suite. Pas toujours pour le bonheur du spectateur, à l’image d’un récit trop segmenté, qui laisse sur sa faim lorsqu’une même histoire est scindée en plusieurs sketches de quelques minutes…
Certains, pourtant, font mouche : la révolution russe, avec un Staline (Jack Black) sournois et méprisé par le Politburo; la vie de Jésus, dont le dernier repas (déjà une «Cène» du premier film) est raconté sur le modèle du documentaire sur les Beatles Get Back (Peter Jackson, 2021), accent de Liverpool compris; ou la campagne de Shirley Chisholm, première femme noire à se présenter aux élections présidentielles aux États-Unis, qui prend la forme d’une sitcom «filmée en direct devant un public noir». La guerre de Sécession, autre gros morceau de cette série, tombe totalement à plat, si ce n’est pour les quelques gags repris de son aîné, comme ce soldat du Nord qui essaie de se tirer d’affaire face à des Sudistes tendus en se livrant à un numéro de stand-up anti-Union et pro-esclavagiste (dans le costume de Comicus, le philosophe rigolo de la Rome antique, Mel Brooks avait déjà imaginé la même situation, face à Jules César).
Raspoutine rencontre Jackass
Les fans du film pourront même s’amuser à deviner quels segments ont été écrits par Mel Brooks lui-même : le concile de Nicée est transformé en réunion marketing pour redéfinir l’image d’un Jésus pas assez blanc, pas assez blond et pas assez courageux, est du Brooks tout craché. Même chose pour l’invention du téléphone, qui débouche sur l’invention du premier canular téléphonique (dans History of the World Part I, le premier dessin sur le mur d’une grotte préhistorique était immédiatement suivi de l’arrivée du premier critique d’art), les origines du Kâma Sutra en tant que livre de cuisine ou Noé qui, au lieu de sauver les animaux, remplit son arche de petits chiens tout mignons.
Comme devant un épisode de Saturday Night Live – ou History of the World Part I –, certains sketches et gags laissent de marbre quand d’autres sont bêtement irrésistibles. L’une des forces de cette série est d’avoir inclus les discussions récentes sur une histoire plus inclusive et sur la représentation des figures coloniales dans les pays occidentaux, sans pour autant atténuer l’humour bête et méchant qui faisait le sel de l’œuvre d’origine. Mais, globalement, cette nouvelle équipe d’auteurs-acteurs-producteurs-réalisateurs a développé un modèle qu’elle utilise jusqu’à l’indigestion : prendre tel évènement historique, l’associer à telle émission de télévision ou tel phénomène viral et en faire un sketch, si possible avec des stars invitées.
C’est parfois drôle – la vie excessive de Raspoutine racontée sur le mode de l’émission Jackass, musique et casting d’origine inclus, la fille du tsar qui continue de poster sur son Instagram avec le hashtag #DernièreRomanov –, parfois non – Galilée alimente sa chaîne de désinformation sur TikTok, l’émission de téléréalité sur les nombreuses épouses de l’empereur mongol Kublai Khan… Une chose est sûre : il ne suffit pas de faire rire avec des zizis, du vomi et des pets pour faire du Mel Brooks. Même si ce dernier reprend le rôle qu’il avait donné jadis à Orson Welles, celui de la voix off, et apparaît sous la condition d’avoir la même apparence physique qu’en 1981 – dans un gag hilarant, son visage de l’époque est collé sur le corps d’un bodybuilder blond –, Mel Brooks manque cruellement à History of the World Part II.
À l’instar de son prédécesseur, History of the World Part II se conclut sur un avant-goût de la suite de cette folle histoire, en s’amusant sur la forme sérielle. Ainsi, Mel Brooks ne promet pas un History of the World Part III, mais bien History of the World Part II – Season II! Avec, comme promis déjà dans le film de 1981, «des juifs dans l’espace!» – où les vaisseaux, en forme d’étoile de David, ne peuvent répondre au feu ennemi car… on est samedi, et samedi, c’est Shabbat. Reste à savoir si cette hypothétique suite restera une dernière blague dans le pur style de Mel Brooks ou si, appuyée par Disney, elle fera des petits. Dans un cas comme dans l’autre, c’est si bon d’être le roi! Et rira bien qui rira le dernier…
History of the World Part II, de Mel Brooks, Nick Kroll, Ike Barinholtz et Wanda Sykes. Disney+.