Cet été, l’Unesco nous fait redécouvrir les trésors classés de Luxembourg à travers différentes thématiques qui seront déclinées en six articles. La capitale est un véritable millefeuille qui mêle histoire et paysages. La semaine dernière, nous vous parlions de la nature qui sublime la forteresse et les vieux quartiers de la capitale classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Dans ce deuxième volet de notre série, on parle de paysages et d’histoire. En regardant la Ville d’en haut, on peut deviner son passé, et par la même occasion celui de sa population.
L’une des raisons qui a permis à la Ville de Luxembourg de gagner son ticket pour être classée au patrimoine mondial de l’Unesco c’est sa topographie atypique, un atout d’exception : « Son paysage permet de lire la stratification. Par exemple, on peut dire qu’il y a 200 millions d’années les rochers sont apparus, il y a le bock du comte Sigefroi au Xe siècle et la Ville qui émerge avec Saint-Michel, il y a la période espagnole aux XVI et XVIIe siècles, l’autrichienne au XVIIIe siècle », explique Robert L. Philippart, le site manager de l’Unesco pour Luxembourg. Les époques se superposent comme un millefeuille.
« Même si la Ville a été ouverte, que la vieille cité a été adaptée en partie à la nouvelle ville qui se construisait tout autour au moment où les fortifications étaient démantelées (1867), on peut encore lire très distinctement dans l’espace, le tracé des routes, les parties construites sur deux ou trois étages dans la forteresse. Les gens habitaient de façon très dense », poursuit le passionné d’histoire.
On peut encore percevoir les ruelles tortueuses de la ville gothique (construite au Moyen Âge entre les Xe et XIIIe siècles). Celle-ci et délimitée par la rue du Fossé qui fait également frontière entre la zone centrale de l’Unesco et la zone tampon. « La rue du Fossé reprend en gros le tracé des anciens remparts, dont il subsiste une tour encore visible, la tour Mohr-de-Waldt près de la place Clairefontaine. »
Du Moyen Âge à la Renaissance
Au XVIIe siècle, la Ville va s’étendre et s’aérer pour se moderniser, comme le raconte Robert L. Philippart : « La ville gothique se distingue très nettement de la ville Renaissance qui a été aménagée à partir du XVIIe siècle, avec notamment la rue Louvigny et la rue du Curé. L’ensemble de ce damier clairement organisé a été aménagé à l’époque pour répondre au besoin d’artillerie, au besoin de défense. Au Moyen Âge, le monde était totalement différent, désormais il s’agit de dessiner des rues essentiellement droites, plus larges aussi. Après l’incendie de la Ville en 1554, des rues comme la Grand-Rue ont par exemple étaient élargies » afin d’éviter que les feux ne se propagent à partir d’une toiture jusqu’à l’autre bout de la rue.
« Et cette nouvelle ville fonctionnait autrement. Alors qu’on vivait entassé dans la vieille ville, dans la ville Renaissance on avait un jardin, une cour, une maison arrière. » Cette deuxième partie de la maison était nécessaire dans une époque où chacun exerçait alors un deuxième métier : tabatier, tanneur, papetier, on comptait aussi un grand nombre de rôtisseurs et de boulangers. Certains gardaient, en outre, une petite basse-cour à l’intérieur de la forteresse.
« Il ne faut pas perdre de vue qu’on voulait nourrir 4 000 soldats et que ces maisons arrières servaient également à les loger », souligne le site manager de l’Unesco. C’était une obligation pour les bourgeois.
« Toujours adaptée, jamais trahie »
D’ailleurs le « bourgeois », qui était un statut juridique sous l’Ancien Régime, avait l’obligation de loger dans « le poêle », c’est-à-dire dans la chambre chauffée, un soldat. Cela montre aussi que le caractère multiculturel de Luxembourg existe depuis très longtemps.
Ces garnisons étaient celles du régime auquel le Luxembourg appartenait, que ce soit le régime espagnol ou autrichien, mais les soldats pouvaient être de très nombreuses nationalités différentes. « Il s’agissait de non-résidents qui vivaient à Luxembourg et devaient cohabiter dans un même bâtiment avec la population locale. Il est donc tout à fait naturel que Luxembourg ait gardé ce caractère multiculturel. »
Robert L. Philippart conclut : « Luxembourg est resté authentique et intègre, comme le veut l’Unesco qui a voulu protéger cet endroit car l’espace dans lequel vivent les hommes a été conservé. Authentique, cela veut dire que tout est vraiment d’époque. La Ville a toujours été adaptée, mais jamais trahie dans son caractère véridique. Ce n’est pas une reconstruction ni une interprétation, c’est du vrai. Puis ce que l’Unesco appelle l’intégrité, c’est que cela représente un ensemble lisible dans sa signification. » Espérons que les personnes qui admirent la Ville aient les clés pour lire entre les lignes des parcs et bâtiments.
Audrey Libiez