Senna
de Vicente Amorim
avec Gabriel Leone, Pamela Tomé, Matt Mella…
Genre biopic / sport
Durée 6 x 55 minutes
Netflix
Après cinq années de luttes parmi les grands de la F1, il tient enfin son graal : Ayrton Senna, génie du volant et l’un des pilotes les plus rapides de tous les temps, vient de décrocher son premier titre de champion du monde. Il y a mis la manière lors d’un Grand Prix du Japon de 1988 où sa remontada, de la seizième à la première place, reste gravée dans la légende.
Au terme de la course, comme le rappelle la série Netflix qui lui est consacrée, le pilote, radieux, lâche aux journalistes : «J’ai toute la vie devant moi !» Ce qu’il ne sait pas, c’est que celle-ci va s’arrêter brusquement un 1er mai 1994 à Imola (Italie). Après 35 victoires, 46 poles positions et trois couronnes, il écrase sa Williams Renault dans un mur à plus de 300 km/h. Le monde des sports automobiles est en deuil, tout comme le Brésil qui pleure son champion.
Inévitablement, Senna ne pouvait que commencer et s’achever sur ce tragique événement, suivi en direct par des millions de téléspectateurs, qui a contribué à faire de cet homme, «né pour la course», une icône dont l’auréole brille toujours trente ans après sa disparition. La série, de composition classique, y apporte même un coup de lustrant en remontant le parcours de «Beco», surnom d’un gamin qui, dès ses quatre ans, s’est retrouvé avec un volant entre les mains.
C’est son père, gérant d’une société de métallurgie, qui va lui construire son premier engin. Suivra ensuite le karting, où il va apprendre les rudes lois de la compétition et, surtout, à maîtriser la pluie, «celle qui met toutes les voitures au même niveau», sur laquelle il va filer, indocile, le reste de sa carrière. Il franchira le cap de la Formule Ford, de la F2000, puis de la F3 avec le même tempérament et le même panache.
On est en 1984 et le monde de la F1 est prévenu : un jeune espoir filant comme le vent et à la conduite agressive arrive, avec l’envie de bousculer la hiérarchie, dominée alors par Niki Lauda, Keke Rosberg et son compatriote Nelson Piquet. Le patron de Toleman (sa nouvelle écurie), Alex Hawkridge, plante d’emblée le décor : «La F1 n’a rien à voir avec les voitures : seul l’argent compte.»
Comme Netflix le fait déjà avec Formula 1 : Drive to Survive, Senna quitte régulièrement la piste et raconte les coulisses : il y a les intrigues des paddocks avec ces personnages influents (comme Peter Warr, boss de Lotus, et Ron Dennis, celui de McLaren), les règlements pas toujours justes car interprétables, les tricheries (sous le capot), le racisme ordinaire des fans qui n’apprécient pas l’ardeur sud-américaine, la sécurité sacrifiée sur l’autel du spectacle et la pression médiatique.
Sans oublier la guerre des ego, jusqu’au sein d’une même équipe. «Votre plus grand rival, c’est votre coéquipier!», reconnaît Ayrton Senna, car à voitures égales, seul le talent compte. Chez lui qui déteste suivre la trace laissée par d’autres, car être «second n’est pas dans ses habitudes», elle va atteindre son paroxysme avec ses deux meilleurs «ennemis» : le champion Alain Prost et le président de la Fédération internationale du sport automobile (FISA), Jean-Marie Balestre, l’homme le plus puissant de la F1 dans les années 1980.
La série pointe alors du doigt certains arrangements passés entre les deux «Français», que le Brésilien dénoncera dans une conférence de presse stupéfiante en 1989, année où il perd son titre au finish, condamnant des «décisions politiques idiotes». Il est comme ça, Ayrton Senna : fonceur, parfois arrogant et surtout intègre – ce qui l’amènera à poser les bases, avant sa mort, du syndicat des pilotes et d’une fondation qui œuvre, chez lui au Brésil, auprès des jeunes défavorisés.
Incarné à l’écran par Gabriel Leone (déjà remarqué l’an dernier dans Ferrari de Michael Mann), le héros des belles mécaniques est dépeint dans la série comme un homme totalement concentré à sa tâche. Et s’il aime son pays, sa famille et Xuxa (son grand amour), sa vie privée passera toujours après les circuits.
La piste a ses exigences, et sur celle-ci, il brille, lui qui ne fait qu’un avec la voiture (il demande que sa ceinture soit très serrée pour ressentir le moteur) au point, comme ça lui est arrivé à Monaco, d’entrer en transe…
Soutenu par de subliminales images d’archives (en dehors d’un épilogue-mémorial) et une BO très «eighties», Senna soigne la course, aux effets de caméra et sonores saisissants, mais cale quand elle tombe dans le narratif mielleux (façon télénovela) et hagiographique.
Une triste habitude prise par Netflix, qui y a pourtant mis les moyens (en témoigne un générique long de douze minutes!). Grand perdant de l’affaire, où il est dépeint, en dehors du dernier épisode, comme manipulateur, menteur et provocateur, Alain Prost n’est pas en reste : à partir de dimanche, sur Canal+, lui aussi a droit à sa série.