Grand-Duché, qu’as-tu fait de tes zones humides? En compagnie du responsable de la réserve Schlammwiss, nous visitons un des derniers îlot de résistance à la grande faucheuse moderne, où des oiseaux racontent leurs histoires fabuleuses…et inquiétantes.
Les footballeurs qui jouent à Münsbach ne l’ont certainement jamais remarqué.
Pourtant, ce petit volatile s’installe souvent aux premières loges, près de leur terrain. Un fan à plumes du ballon rond? Pas seulement, rit Jim Schmitz : «On a constaté que ces oiseaux étaient là chaque année, près du terrain, de début octobre à avril. Donc on leur a accroché un mini GPS, pour voir d’où ils venaient. Et on a découvert qu’ils nichaient dans les Alpes l’été, entre 1 500 et 2 000 mètres d’altitude.» Cet oiseau, au doux nom de Pipit spioncelle, est donc l’un des rares oiseaux qui va vers le Nord en hiver, s’enthousiasme Jim. À la différence des autres migrateurs qui vont se dorer la pilule en Afrique, celui-ci vient s’installer au Luxembourg!
Et en suivant Jim dans les dédales de la réserve, dont il est responsable, on comprend pourquoi. Cet îlot de verdure est un paradis pour oiseau! Tout est dans le nom : «Schlammwiss» («prairie boueuse»). «Quand il n’y a plus d’eau ailleurs, ici, il y en a toujours. Par endroits, une perche de trois mètres pourrait disparaître dans le sol. Ce n’est pas pour rien que les fondations du pont de l’autoroute (A1) sont profondes de 18 mètres!», raconte Jim.
Jusqu’à 500 oiseaux capturés par jour
S’étendant sur plusieurs hectares, le long de la Syre, la réserve constitue la plus vaste étendue de roseaux du pays. Une zone humide remarquable, dont la grande diversité de plantes permet aux insectes de prospérer, tout en constituant un abri de choix pour se reposer et se reproduire. Bref, elle offre le gîte et le couvert aux oiseaux.
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[TS_VCSC_Lightbox_Gallery lightbox_size= »large » content_images= »163479,163480,163481,163482,163483,163484,163485,163486,163487″ content_images_size= »large » content_images_titles= »(Photos : Romain Van Dyck) » content_style= »NivoSlider » nivo_effect= »fade » thumbnail_size= »large » lightbox_effect= »simpleFade » el_file1= » »][/TS_VCSC_Lightbox_Gallery]Même si l’accueil est parfois un peu rude! Car des filets ont été tendus pour capturer les volatiles et les baguer. «J’ai commencé le baguage en 1968, rappelle celui qui approche désormais les 70 ans. La Schlammwiss est la plus importante station pour les oiseaux sauvages au Luxembourg. On peut même rivaliser avec les stations d’autres pays européens!»
Et quand on bague, mieux vaut ne pas être un lève-tard. «Le contrôle des migrateurs se fait 15 minutes avant le lever du jour. Il faut vite les décrocher, car la nuit, les oiseaux dépensent beaucoup d’énergie pour maintenir leur température à 40 °C. »
Jusqu’à 500 oiseaux peuvent être capturés chaque matin! Un mal nécessaire, car si une infime fraction des oiseaux meure (de fatigue ou de prédateurs), cette capture présente un intérêt scientifique incontestable. Il suffit de suivre Jim dans son «camp de base» pour s’en rendre compte. Dans cette cabane remplie de photos d’oiseaux, des étudiants assistent l’expert.
Anna, 21 ans, et Noémie, 22 ans, toutes deux étudiantes en biologie, sortent les oiseaux un à un de sacs en toile. Jim livre aussitôt son verdict. «Rousselle verderolle. C’est un migrateur qui a la particularité de ne pas migrer via Gibraltar mais par l’Est, la Turquie, le Liban, Israël…» Jim accroche une bague à la patte de l’oiseau, le relâche, et passe à la suite. Chaque bague comporte un numéro individuel qui permettra d’identifier l’oiseau partout dans le monde.
«Mésange bleue. On la surnomme l’emmerdeuse des filets, car ces petites teignes s’emmêlent dedans! C’est un oiseau commun, qui a eu une bonne nidification cette année. Des 15 jeunes qu’on avait comptés, il en reste trois. Oui, la sélection naturelle est impitoyable!», glisse Jim. «Vous savez, on estime que 7 milliards d’oiseaux migrent à l’automne, et seulement 2,5 milliards en reviendront. Et ça évolue négativement. Car l’homme est partout, il bouleverse tous les biotopes.»
Le Luxembourg au régime sec
Et le Luxembourg n’y échappe pas. La formidable expansion du pays a laissé des traces, à grand coup de faucille. Quatre-vingt pour cent des zones humides du pays ont disparu ces dernières décennies. Un sacrifice qui entraîne une inéluctable disparition de toutes les espèces, plantes et animaux, qui en dépendent.
«Quand je compare la nature actuelle avec celle de ma jeunesse, je vois clairement qu’il y a eu une perte de biodiversité irréversible», assène-t-il, plus sombre.
Mais un sourire revient aussitôt sur son visage avec le «sac surprise» suivant : «Ah! Aujourd’hui, on a un « special guest ». C’est un cul blanc! Le nom résume bien sa caractéristique. On en prend 4-5 par an, ils sont rares.»
Cette passion, qui l’anime depuis des décennies, sert aussi d’aimant à bonnes volontés : «On a une quarantaine de bénévoles qui réalisent près de 6 000 heures par an. Cela nous permet d’avoir une présence sur le terrain de 200 à 240 jours par an, c’est énorme!»
Nos deux étudiantes, Anna et Noémie, ne sont pas en reste. Depuis le début de leur stage, elles ne comptent pas leurs heures, et elles connaissent déjà bien leurs gammes. Comme lorsqu’elles sortent d’un sac et identifient aussitôt un splendide Martin-pêcheur. À voir les étincelles dans leurs yeux, pas de doute, la passion est déjà là. «Je ne suis pas inquiet, il y a encore des jeunes Luxembourgeois doués qui s’intéressent à la nature», sourit Jim.
Romain Van Dyck
Fiche d’identité
Nom : Schlammwiss
Commune : Schuttrange
Superficie : 30 hectares
Intérêt écologique : «La réserve naturelle Schlammwiss est un biotope d’une importance majeure. Une flore et une faune exceptionnelles et partiellement rares, y ont leur place, formant ainsi des écosystèmes à rôle bien spécifique. Ensemble, ils forment une zone humide d’importance nationale qui recouvre la majeure partie de la vallée de la Syre et contient le plus grand ensemble cohérent de roselières du Luxembourg. Cette diversité du milieu entraîne une richesse et diversité exceptionnelle de l’avifaune», écrivait en 2012 l’étudiante en biologie Sandra Falsetti. Pour sauvegarder ce patrimoine, plusieurs hectares de la Schlammwiss ont été achetés par la Fondation Hëllëf fir d’Natur, précise Jim Schmitz, qui est toujours vice-président et secrétaire général de la fondation.
Classement : Depuis plusieurs années, un dossier de classement de la Schlammwiss en réserve naturelle était en cours. Les choses ont bien avancé, nous confie Jim Schmitz : «Le classement est effectif depuis peu, c’est passé en Conseil des ministres. Il faut dire que notre dossier était solide, on est le plus gros fournisseur de données ornithologiques du pays (www.ornitho.lu).» Ce classement va permettre à cette zone humide de bénéficier de stratégies de protection.
Contact et visites :
Jim Schmitz : 621 29 36 95
j.p.schmitz@luxnatur.lu
Facebook, YouTube et web : mot-clé «schlammwiss».