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« Savannah Bay » : jeu de dames au TNL


Ludmilla Klejniak et Marja-Leena Junker : deux personnages qui se retrouvent autour des thèmes de la mort, de l'amour, de l'oubli et du théâtre. (Photo DR/Bohumil Kostohryz)

Considérée comme la quintessence de l’œuvre de Marguerite Duras, la pièce Savannah Bay est reprise pour la scène du TNL par Stéphane Ghislain Roussel, qui espère en faire un «grand voyage sensoriel et émotionnel».

Elles se retrouvent une nouvelle fois, sur scène, comme pour Golden Shower au TNL, avec l’incontournable Stéphane Ghislain Roussel aux manettes. Deux comédiennes de générations différentes, unies par une «grande complicité». Trois ans après cette pièce, et après une collaboration à distance au Centaure pour La Parure – qui représentera le Luxembourg à Avignon cet été – Marja-Leena Junker et Ludmilla Klejniak se redonnent la réplique, dans un face à face à la fois «dramatique» et «lumineux» signé Marguerite Duras qui, par la diversité et la modernité de son œuvre, est entrée dans la postérité. Au point qu’aborder un de ses textes aujourd’hui est perçu comme un vrai challenge.

Ce que dédramatise le metteur en scène belgo-luxembourgeois : «C’est vrai que Duras est rarement jouée, peut-être parce qu’elle est considérée comme un auteur aride, dur, esthétique. Selon moi, il est nécessaire de prendre du recul, de la distance, par rapport au poids de cette mythologie.» Chose qu’il a faite en s’emparant de Savannah Bay, considéré, de surcroît, comme la quintessence de l’œuvre «durassienne», et dont il est littéralement «tombé amoureux». «C’est un texte magnifique, fascinant à plus d’un titre, qui englobe tous les thèmes chers à l’artiste : l’amour, la mort, la mémoire et l’oubli, sans oublier l’océan» en toile de fond.

Savannah Bay (pièce écrite en 1982) relate la rencontre entre Madeleine, vieille dame qui fut actrice, ici au lendemain d’une carrière glorieuse, et d’une «jeune femme», qui n’a pas d’autre nom que ce qualificatif, confidente et flamme vitale. De ce moment qui apparaît comme un véritable testament, voire un étrange cérémonial, surgissent des souvenirs à la fois joyeux et violents : l’amour d’un homme sur une plage, la mort d’une jeune femme en mettant au monde une petite fille, les années, les décennies à incarner tant de rôles qui semblent au final se répéter sans cesse. Peu à peu la fin approche et une nuit éternelle s’installe…

En réalité, les deux personnages se connaissent plus qu’ils ne semblent l’avouer. Un coup de vice de Marguerite Duras… «Dans les premières interviews suivant la mise en scène de Savannah Bay, elle a déclaré : « C’est au public à décider qui ils sont. » Alors que c’est pourtant très clair ! Il suffit de lire la 6eréplique du 6eparagraphe qui dit : « Mais, je vous reconnais, vous êtes ma petite fille, la fille de cette enfant morte »», précise, dans le détail, Stéphane Ghislain Roussel. «On est en présence d’une filiation générationnelle», ajoute-t-il, affirmant «l’assumer complètement».

«On parle quand même d’amour !»

D’un côté, donc, la grand-mère, et de l’autre, la petite-fille, qui ont dû vivre avec cette douleur née de la perte, une «infinie douleur» qu’il s’agit d’exorciser, peut-être, dans la conquête d’un autre amour, celui qui pourrait naître entre ces deux femmes, à l’approche de la mort. Autant de fantômes qui traversent la mémoire en lambeaux de Madeleine. «La mémoire et l’oubli sont effectivement le fil rouge», note le metteur en scène, qui tient à signifier que non, la pièce n’est pas si désenchantée que ça : «Si les moments dramatiques sont intenses, la pièce est aussi lumineuse, ensoleillée. On y perçoit une grande joie de vivre. On parle quand même d’amour !»

Sans oublier, parmi d’autres «obsessions» chez Marguerite Duras, cet élan du cœur pour le théâtre, «son pouvoir et ce qu’il apporte», à travers le souvenir en pointillé de cette ancienne comédienne, au miroir de la splendeur et du naufrage qu’est la vieillesse. Une ligne directrice qui n’est pas sans rappeler l’excellent et récent film Sils Maria (avec Juliette Binoche et Kristen Stewart). «Oui, Savannah Bay a quelque chose de très cinématographique», confirme le metteur en scène, qui, pour répondre à ce postulat, a travaillé sur la lumière, par l’entremise de David Debrinay, un «artiste magnifique». Le résultat, l’espère-t-il, sera un «grand voyage sensoriel et émotionnel».

Encore faut-il ne pas se laisser emporter par la langue éblouissante de Duras, dont la puissance pourrait recouvrir l’humanité profonde qui empreint la pièce – rappelons au passage que Duras a perdu, en 1942, l’enfant mort-né qu’elle portait de Robert Antelme. D’où un «parti pris» nécessaire, pour éviter de se perdre dans le lyrisme de l’œuvre. Stéphane Ghislain Roussel : «Il était important, voire vital, de ne pas se reposer uniquement sur les voix et le « texte dit », mais bien de proposer du théâtre, impliquant un travail sur le corps, le mouvement…»

Sans oublier, bien sûr, la scénographie et la musique, cette dernière étant toujours au cœur du travail de sa compagnie. Ainsi, face aux multiples oscillations poétiques et atmosphériques – avec la réminiscence de cette pierre blanche léchée par les vagues, au milieu des flots, où deux amants s’unissent – Marja-Leena Junker et Ludmilla Klejniak, comme dans un symbole, se passent le témoin, celui d’un héritage artistique, incarnant au plus près leurs personnages unis par le sang, l’amour et la douleur. «Jusqu’à maintenant, je suis très heureux de ce qu’elle font», conclut-il.

Grégory Cimatti

Savannah Bay, au TNL. Mercredi et et vendredi à 20h. Puis les 12, 16, 18 et 20 février, à 20h.

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