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Santa Clara, ville du Che et bastion LGBT de Cuba


Adela, née José Agustin Hernandez il y a 53 ans, s'habille en femme depuis 28 ans. Mais cette représentante du Pouvoir populaire - une institution locale - est catégorique : "je suis plus révolutionnaire que gay". (photos AFP)

Adela, transgenre et élue locale d’un village cubain, peigne sa perruque, un flambant carré rose. Sur le mur de sa maison près de Santa Clara se côtoient des photos de son compagnon et de Che Guevara, héros de cette ville, devenue entretemps un bastion de la communauté LGBT à Cuba.

C’est là que le célèbre guérillero argentin avait fait dérailler en 1958 un train sous le régime du dictateur Fulgencio Batista. Et c’est aussi dans cette commune de 200 000 habitants du centre de Cuba que reposent, au sein d’un mémorial, les restes du Che et de ses compagnons de lutte en Bolivie.

Depuis quelques années, Santa Clara et sa province, Villa Clara, sont surtout célèbres sur l’île pour être un havre de paix pour la communauté LGBT. Alors que les habitants de l’île débattent de la possible inscription du mariage homosexuel dans leur nouvelle Constitution – soumise à référendum en février prochain -, Santa Clara fait figure de pionnière avec son hôtel gay friendly et son centre culturel, le Mejunje, accueillant depuis 1984 des spectacles de drag queens.

A 50 km de là, dans le village de Caibarien, Adela, née José Agustin Hernandez il y a 53 ans, s’habille en femme depuis 28 ans. Mais cette représentante du Pouvoir populaire – une institution locale – est catégorique : « je suis plus révolutionnaire que gay, et je l’ai prouvé à ce gouvernement, à cette société, à beaucoup de dirigeants et d’opposants homophobes ».

Un lieu « vu comme l’enfer » au début

Le centre Mejunje tient son nom d’une mixture locale d’herbes médicinales. Ouvert sur les ruines d’un hôtel, il permet à de jeunes artistes de se produire, avec une salle de concerts, un théâtre et une piste de danse pour adultes et enfants. L’entrée coûte 5 pesos cubains (20 centimes de dollar).

CUBA-LGBT-VILLA CLARA

« Quand je lis le projet de Constitution, je me rends compte que je n’avais pas tort… », confie son fondateur Ramon Silverio, 69 ans. « Mon idée, c’était de créer un lieu pour toutes et tous, quels qu’ils soient et quelles que soient leurs préférences », explique-t-il. Les débuts n’ont pas été simples : à l’époque, les homosexuels étaient harcelés et marginalisés. « Les premières années, le Mejunje était vu comme l’enfer » par ses détracteurs, raconte Ramon Silverio.

Mais peu à peu, « l’image a changé ». Le président lui-même est un familier du centre culturel : « Diaz-Canel est venu au Mejunje avant de devenir premier secrétaire du Parti (communiste de Cuba dans la province, en 1994, NDLR) car il amenait ses fils aux activités pour enfants que nous proposions », se souvient Ramon. Chaque dimanche soir, des centaines de curieux se pressent pour assister aux spectacles de drag queens, dans une ambiance festive et désormais dénuée de préjugés. « Le Mejunje a changé la ville et la façon de voir le pays », assure son fondateur.

Manne touristique ?

Non loin de là, dans une maison à la porte d’entrée jaune vif, Saily Gonzalez et son mari tiennent depuis trois ans un hôtel ouvertement gay friendly, une première à Santa Clara. « Tout a commencé avec un client – devenu un ami – venu faire un documentaire sur les transformistes. Plusieurs drag queens ont enregistré leurs interviews dans cette maison. Leurs histoires m’ont émue », raconte Saily, 27 ans.

Selon elle, pour Cuba l’enjeu de la nouvelle Constitution peut être d’attirer le tourisme de la communauté LGBT. « Qu’une petite île des Caraïbes comme Cuba, avec son histoire politique compliquée et contradictoire, décide d’approuver le mariage pour tous, ce serait vraiment énorme », dit-elle.

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La région de Santa Clara n’a pas attendu qu’on en passe par la loi pour faire évoluer les mentalités. Dès les années 80, alors que les discriminations envers les homosexuels restaient fortes à Cuba, « un agent de la police nationale révolutionnaire m’a proposé de présider le CDR » (Comité de défense de la révolution), rouage-clé d’un maillage local d’associations de quartier créé par Fidel Castro, raconte Adela. Elle venait tout juste d’emménager à Caibarien après deux années de prison : son père, qui n’a jamais accepté son homosexualité, l’avait dénoncée pour un autre motif à la police. Elle avait été condamnée.

Mieux vaut une « tapette » qu’un « voleur »

Dans ce village qui selon Adela « se caractérise par son ouverture face aux préférences sexuelles, même si c’est un village de pêcheurs », elle s’est présentée aux élections locales et a gagné, surprise de se voir si bien accueillie.

Certains électeurs conservateurs lui ont même glissé : « Je préfère ‘une tapette’ à un dirigeant voleur », raconte-t-elle. Elle a depuis été réélue à deux reprises.

Infirmière, Adela vit avec son compagnon depuis 11 ans, un jardinier de 27 ans. Son rêve ? Pouvoir se marier avec lui, grâce à une Constitution rénovée : « Il est temps de changer tout ce qui doit être changé, comme disait notre commandant en chef Fidel », assure-t-elle. Avant de rappeler que c’est la propre fille de Raul Castro, la députée Mariela Castro, qui, la première, a défendu cette idée.

LQ/AFP