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Saïd Taghmaoui après « La Haine » (Interview)


Le comédien Saïd Taghmaoui, membre du jury du Lux Film Fest, est l’un des rares Français à avoir réussi à Hollywood, après avoir percé avec La Haine. Rencontre.

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Pour Saïd Taghmaoui, « La Haine » était « clairement un film précurseur qui a mis le doigt sur des choses essentielles ». (Photos : AFP)

Le jury international du Luxembourg City Film Festival est, cette année, composé des journalistes Stéphane Bern et Eithne O’Neill, de l’actrice et réalisatrice Désirée Nosbusch, de la comédienne Louise Monot, du réalisateur Morteza Farshbaf et du comédien Saïd Taghmaoui. Le Franco-Américain d’origine marocaine, découvert dans La Haine de Mathieu Kassovitz et vu dernièrement dans G.I. Joe : Le Réveil du Cobra de Stephen Sommers, American Bluff de David O. Russell ou la série télé Lost, s’est longuement entretenu avec Le Quotidien.

> Vous faites partie du jury international du Luxembourg City Film Festival. Comment trouvez-vous la manifestation ?

Saïd Taghmaoui : Je la trouve très humaine, simple, sans trop de fioritures. Et cela fait plaisir d’être là, de découvrir ce pays que je ne connaissais pas. Ce festival est une sorte d’îlot culturel avec des invités et des films très différents. Il y a des choses assez dures, d’autres plus légères. Un véritable éventail cosmopolite avec un choix très large de films, de sensibilités, de pays… Cela permet de voir des films qu’on ne verrait pas autrement au cinéma, et un festival ça sert justement à ça. Et c’est très sympa de découvrir cette ville, de discuter avec les autres membres du jury et d’apporter son expérience professionnelle.

> Quel est votre apport dans ce jury ?

Chacun apporte sa sensibilité par rapport à son expérience, et c’est bien que différents corps de métiers soient représentés. En ce qui me concerne, je suis capable de dire très vite, par exemple, si la performance d’un comédien est bonne ou pas.

> Comment trouvez-vous la sélection ?

Intéressante. Avec des films diamétralement opposés les uns aux autres tout en étant tous de bonne facture.

> Certains se plaignent d’un côté un peu trop sombre…

Oui, dans le film d’auteur, en général, il y a toujours cette tradition de faire des trucs un peu durs, sans trop de séduction, etc. Mais il y a toujours des choses intéressantes. Quand ce n’est pas le récit, c’est la lumière, la caméra ou le casting… C’est aussi ça les festivals. Si on ne donne pas de place à ce genre de films dans les festivals, je ne sais pas où ils vont pouvoir exister. Mais bon, on a aussi vu des films plus légers. Et c’est aussi très agréable. Je trouve que la sélection est cohérente avec le festival et avec Luxembourg.

> Le public luxembourgeois, comme le français, vous a découvert dans La Haine, de Mathieu Kassovitz. Ça fait pile vingt ans que le film est sorti. Quels souvenirs gardez-vous du film, du tournage, de choc qu’il a créé ?

La première chose que je dois dire est que je n’ai vraiment pas l’impression que ça fait vingt ans. J’ai encore l’impression que c’était hier. Le problème est que le temps est passé très, très vite, mais que malheureusement pas grand-chose n’a changé depuis. Ce qui fait que le film reste encore d’une actualité accablante. On parle d’ailleurs de La Haine 2 depuis un moment avec Mathieu [Kassovitz], je ne sais pas trop vers où cela se dirige, mais c’est en train de germer.

En tout cas, La Haine était clairement un film précurseur qui a mis le doigt sur des choses essentielles. Ce film a été un tsunami. Une sorte de locomotive qui a tiré avec elle tous les wagons de la culture urbaine. Et il n’a pas vieilli. Ce qui prouve sa qualité. Le film était juste dans son parti pris à l’égard de son sujet, mais aussi de la mise en scène. La mise en scène est à la hauteur de l’histoire, l’histoire est à la hauteur du sujet et le sujet est à la hauteur de l’époque. C’est ce qui fait un grand film.

Et il a passé les frontières. Au Mexique, on me parle de La Haine exactement comme en France. C’est ça un film culte. C’est peut-être aujourd’hui le film le plus important du cinéma français toutes catégories confondues. En tout cas, des vingt dernières années. Il reste tellement en phase avec notre temps que même les jeunes qui ont 20 ans aujourd’hui vont se retrouver dans ce film, alors qu’ils sont nés l’année de sa sortie.

> Vous êtes né à Aulnay-sous-Bois, d’origine marocaine, mais installé depuis des années à Los Angeles. Et vous êtes un des rares acteurs français à avoir réussi à Hollywood. C’est un rêve d’enfant qui s’est réalisé ?

Il n’y a qu’un Hollywood au monde, c’est vrai, mais le plus important, quand on est comédien, c’est de travailler, de tourner dans des films. Et peu importe si c’est à Paris, Hollywood ou ailleurs. Après, oui, il faut être capable d’emmener son travail à un niveau supérieur pour être accepté. Un peu comme jouer en équipe de France quand on est footballeur. Peu importe quel est ton club, si tu joues vraiment bien, tu pourras être sélectionné. Ou comme en basket. Les joueurs en France sont très bons, mais très peu ont les capacités de jouer en NBA. Moi, j’ai dû m’élever au niveau d’Hollywood, parce qu’en France c’était un peu compliqué.

> Compliqué ?

Oui, jeune d’origine maghrébine, il n’y avait pas beaucoup de héros qui me ressemblaient. C’était donc clair que j’allais devoir servir la soupe aux autres, alors que moi, j’avais envie de devenir Omar Sharif !

> Omar Sharif qui, en 2006, en vous remettant la Pyramide d’or, qui récompense le meilleur acteur du monde arabe, a dit de vous que vous étiez son héritier, son successeur.

C’est extraordinaire. Quand tu t’es donné les moyens, que tu as rencontré la chance et le public, que tu t’épanouis artistiquement, que tu vis bien de ton métier, qu’on te propose des rôles très différents, les prix, Omar Sharif, tout ça, ça vient après. Ce n’est que du bonus quand un mec comme ça vous remet un prix et reconnaît votre travail. Car c’est vraiment beaucoup de travail. Je me suis beaucoup investi et j’ai beaucoup souffert pour ça. J’ai dû quitter ma famille, mes proches… mais bon. Avec La Haine, je pensais que j’en avais fait assez pour avoir ma place dans le cinéma français, mais voilà ça s’est passé différemment. Et comme je dis toujours, c’est un mal pour un bien.

> Pour en finir avec Omar Sharif, avez-vous déjà tourné votre Lawrence d’Arabie ?

Non, pas encore. J’ai eu la chance de faire de super films, mais je commence à peine à accéder aux rôles principaux américains. Cela a été dur de s’imposer, mais le meilleur est à venir pour moi.

> Justement, le fait de partir pour Hollywood ne vous a-t-il pas obligé de vous contenter de rôles plus petits que ceux auxquels vous auriez pu prétendre en France ? Vous disiez que c’était dur pour un jeune d’origine maghrébine, mais on vous aurait bien vu dans Indigènes, par exemple.

Rachid Bouchareb [le réalisateur] m’a proposé de jouer un des rôles principaux d’Indigènes, mais j’ai refusé, pour des raisons artistiques. J’avais du mal à croire à Jamel Debbouze en soldat, un personnage avec un bras en moins qui part faire la guerre, ça me paraissait incohérent. Et puis, j’étais sur d’autres projets. Et pour revenir à la question, les petits rôles, ce n’est pas grave, c’est un sacrifice nécessaire.

> Et ça ne fait pas bizarre, maintenant à Hollywood, de passer pour le Mexicain de service ?

Non, c’est quelque chose que j’ai accepté. Les personnages et leur nationalité ne sont que des véhicules pour les sentiments et les histoires. Si demain on me propose un rôle de terroriste iraquien ou de taliban, si son histoire est intéressante, je m’en fous du personnage et de l’étiquette. Même en jouant le personnage le plus sombre de la planète, si j’y trouve une once d’humanité et d’amour, ça ne me dérange pas. Et puis, être pris pour un Mexicain, ça s’appelle le talent. Ils en ont plein des Mexicains là-bas et moi, j’ai réussi à leur faire croire que je l’étais aussi, alors que je suis français et maghrébin. Quelle prouesse ! C’est une victoire !

> J’ai lu qu’à la question « pourquoi vous êtes acteur ? », vous auriez répondu : « Parce que je n’ai pas trouvé une drogue qui m’élève plus haut. Et parce que c’est bien payé ». La drogue fait toujours effet ? On n’est pas en overdose au bout d’un moment ?

Non, au contraire, c’est une drogue dont on est rapidement en manque. Ce métier m’occupe pleinement l’esprit, il m’a nourri intellectuellement, spirituellement. C’est un métier qui m’a transcendé et a donné une direction incroyable à ma vie. Et l’endroit où je me sens le mieux, c’est un plateau de cinéma. C’est là que le temps s’arrête et que j’ai l’impression d’être pleinement en vie, comme si plus rien n’avait d’importance à part ce que je vais graver sur la pellicule.

> En attendant un possible La Haine 2, quels sont vos projets ?

Je viens de finir Missing, une série télé de six épisodes sur la petite Maddie disparue au Portugal. Elle a été vendue dans trente pays, a fait un carton aux États-Unis et en Grande-Bretagne et elle arrive bientôt sur TF1.

Entretien avec notre journaliste Pablo Chimienti