Depuis une bonne dizaine d’années, 45 et 33 tours suscitent un nouvel engouement auprès de passionnés, prêts à y mettre le prix. Un enthousiasme qui s’est mesuré à Londres, lors la journée des magasins de disques indépendants.
Il est à peine 8 h 30 que la queue s’allonge devant Flashback Records, dans le quartier londonien de Shoreditch. C’est la journée annuelle des magasins de disques indépendants au Royaume-Uni et les fans de vinyles sont déterminés à mettre la main sur des rééditions spéciales ou nouvelles sorties. Les premiers sont d’ailleurs arrivés à 4 h 45, alors que la boutique n’ouvre qu’à 9 h. Un engouement qui témoigne du nouvel âge d’or des vinyles, dont les ventes se portent mieux que jamais alors que leur disparition semblait assurée il y a vingt ans.
Martin Wolyniec, 45 ans, barbe grisonnante et yeux bleus, accompagné de sa nièce Amelia, tient en main une liste distribuée par la boutique, où il a coché ses souhaits : un album de Groove Armada, un d’Orbital, un autre d’Everything but the Girl, «et si on a de la chance, Kate Bush». Seulement quelques minutes après, il ressort victorieux, brandissant un sac carré rempli de précieuses pochettes. Amelia esquisse même quelques mouvements de danse extatiques.
C’est quelque chose qu’on peut sentir, toucher, regarder, et qui ne tient pas dans notre téléphone!
Martin et sa femme ont commencé à collectionner les vinyles il y a six ans. «Probablement parce que c’est quelque chose qu’on peut encore sentir, toucher, regarder, pas quelque chose qui tient dans notre téléphone!», explique-t-il. Derek Yeboah, concepteur de logiciels de 32 ans, s’y est mis pour sa part depuis qu’il a hérité de la collection de vieux disques de garage et trance de son frère, il y a déjà des années. Il convoite quelques titres de jazz et blues. «Tout est numérique maintenant. Les chansons sont raccourcies à cause des réseaux sociaux. Tout doit tenir en quatre minutes», alors que le format vinyle donne plus de liberté et d’espace, assure-t-il.
Michelle McCracken, gestionnaire de projets de 27 ans, aime «voir les paroles, la mise en page. J’aime aussi soutenir les artistes que j’aime» en achetant le disque-objet – alors que beaucoup d’entre eux ne gagnent pas réellement leur vie avec les sites de streaming musicaux comme Spotify. Cette journée annuelle des magasins de disques indépendants «est très importante, car elle nous donne un coup de fouet à cette période de l’année» un peu creuse, remarque Mark Burgess, fondateur et patron de Flashback Records, qui compte trois sites à Londres.
Les magasins indépendants de disques sont de plus en plus nombreux au Royaume-Uni, avec actuellement 461 boutiques (122 de plus qu’en 1994), tirés largement par la renaissance du vinyle. Et ce, malgré le prix élevé d’un 33 tours neuf (20, 30, 40 livres voir plus), en pleine crise du coût de la vie. Les ventes d’albums vinyle ont en effet augmenté de près de 18 % à 177,3 millions de livres l’an dernier, tandis que les CD ont enregistré un premier timide rebond pour la première fois en près de deux décennies, selon l’ERA, association sectorielle.
Pour autant, l’essentiel de la musique est consommé en format numérique et seulement 8 % en format «physique», vinyle ou CD, selon l’organisation. Vu la place reprise par les vinyles au Royaume-Uni sur le marché de la musique, le très sérieux Office national des statistiques a décidé de les remettre dans le panier de biens qui servent à calculer l’inflation. «À peu près tous les albums émis par un gros label sortent en format vinyle. Mais ça coûte cher à fabriquer», particulièrement quand le coût du pétrole s’envole comme ces dernières années, ce qui explique leur prix élevé, remarque Mark Burgess.
Dans le quartier touristique de Soho, devant l’emblématique magasin de disques Sister Ray, une foule éclectique de personnes aux âges et allures variées fait la queue tout autour du pâté de maison. Zoe Farace, 25 ans et qui travaille dans les ressources humaines, dit être tombée dans les vinyles quand elle était petite, héritant de la passion de son père qui en possède «trop pour les compter». Pour elle, en acheter, en écouter, «c’est une manière de passer du temps de qualité avec mon père», qui se tient à ses côtés et la regarde en souriant. «Comme ça, on peut discuter de choses qu’on aime tous les deux», conclut Zoe.