En 2022, le biopic de Baz Luhrmann rappelait que, si Elvis Presley était et restera le «king» du rock’n’roll, l’influence toxique (dirait-on aujourd’hui) de son manager, le colonel Tom Parker, lui a souvent coupé les ailes.
C’est lui qui l’a construit et en a fait une star, mais c’est aussi lui qui a failli causer sa perte. C’est ce que raconte Netflix dans un documentaire, un nouveau consacré à la légende, avec un point d’orgue peu connu du grand public : son come-back sur scène et à la télévision en 1968, à Los Angeles. Son premier concert après sept ans à servir la cause du cinéma. À ce moment, ses chansons se vendent mal (depuis 1963, aucune n’est entrée dans le top 10) et autour de lui, le monde a changé. Très vite, trop vite. Sur fond de musique angoissante, son ami Jerry Schilling est définitif : «Tout son avenir reposait sur cette émission.» Au bout de celle-ci, redevenir une vedette ou finir comme un has been.
Avant d’y venir, la production de Jason Hehir, réalisateur qui aime les figures hors normes (il a filmé André The Giant et collaboré à la série The Last Dance sur Michael Jordan), remonte le fil de l’histoire de ce jeune garçon, né pauvre dans le Mississippi puis icône planétaire, grâce à des images d’archives, des témoignages sonores (dont ceux d’Elvis lui-même) et une ribambelle de témoins face caméra (Priscilla Presley, Bruce Springsteen…). Pour ce qui est de son ascension, dès 1954, on n’apprend pas grand-chose : il y a ce déhanché ravageur, les cris des groupies, cette belle gueule et, musicalement, ce mariage entre les musiques noires et blanches, lui qui s’est toujours dit proche du gospel. Si d’autres l’ont précédé dans sa démarche (Jimmie Rodgers, Bill Haley, Hank Williams…), lui apporte un charme et une fraîcheur inédits pour l’époque. Puis arrive l’armée, deux années de service où son côté rebelle à la Dean et Brando s’efface doucement. Il devient un bon garçon et s’affiche aux côtés du tout-puissant Sinatra à la télévision.
On se dit alors que le concert qu’il donne à Hawaï en mars 1961, en hommage aux marins tombés à Pearl Harbor, va lui permettre de faire rejaillir la bête de scène qui sommeille en lui. Ce sera le contraire : après celui-ci, il n’en donnera plus avant la fin de la décennie. Car son imprésario a d’autres ambitions pour eux deux : engranger un maximum d’argent en allant là où il y en a le plus, à Hollywood, à l’instar d’autres chanteurs avant lui (Dean Martin, Bing Crosby). Elvis Presley va alors enchaîner les rôles, au rythme de trois films par an : on le voit en motard, garde du corps, as du rodéo, joueur de poker, fils à papa, pilotes de stock-car et d’hélicoptère… Ces productions «en toc», à la fois naïves et superficielles, car destinées à un public populaire, agacent critiques et fans. Même les chansons ne se renouvellent pas, avec, sommet du ridicule, le «King» qui chante Old MacDonald Had a Farm (Double Trouble, 1967).
Je vais devoir le faire tôt ou tard, autant m’y mettre!
Quand il se réveille de cet isolement, celui des plateaux de tournage et de sa demeure de Graceland, tout a changé. Les Beatles puis les Rolling Stones démodent tout ce qui les précède, tandis que les tensions raciales, la crise économique et la guerre du Vietnam remodèlent la culture américaine. Le «King» est fané, déboussolé. Mari, père et renouant avec ses racines avec un album (enfin) de qualité (How Great Thou Art), il reprend du poil de la bête et mise tout sur le show de la NBC. «Ça passe ou ça casse!», lâche l’un de ses proches. Un concert, visible en entier sur le site d’ARTE, où on le voit vêtu de cuir noir et perdu sur un petit ring carré au milieu d’un parterre majoritairement féminin. Ce que Neflix ajoute, c’est ce qui se passe hors-champ : les répétitions qui le mettent hors de lui, surtout quand il s’agit de se mettre en scène. Lui ne veut plus jouer de rôle, mais se montrer tel qu’il est, ou était à ses débuts. «L’ancien et le nouvel Elvis en même temps», s’amuse ainsi Billy Corgan des Smashing Pumpkins.
Après de longues hésitations en loge («je n’y arriverai pas», souffle-t-il), Elvis Presley va alors fendre la coquille, oublier un temps son statut et sa mission pour se montrer sincère, timide, sensible, et surtout, libéré comme jamais. Au point de débarquer nerveux, transpirant, et de rater son entrée. «Je vais devoir le faire tôt ou tard, autant m’y mettre!», lâche-t-il dans un rire au public. Si le spectacle n’évite pas le grandiloquent et les moments en play-back, les plus beaux (car authentiques) sont ceux interprétés en direct avec ses amis façon «unplugged» : Scotty Moore, DJ Fontana, Charlie Hoodge et Alan Fortas. Un retour en grâce ou «à la vie» partagé par 42 % des téléspectateurs américains, dont le jeune Bruce Springsteen qui conclut : «Ce soir-là, il a suivi son destin.» Celui-ci, toutefois, lui réservera à nouveau un mauvais tour : face au succès du show (diffusé le 3 décembre 1968), ils décideront, lui et son manager, de donner une série de concerts à Las Vegas, épuisante, interminable. Le début de la fin pour le «King» qui, là, ne remontera pas la pente.
Return of the King : The Fall and Rise of Elvis Presley de Jason Hehir
Genre Documentaire
Durée 1 h 30
Netflix