Ce mercredi, les musées français rouvrent leurs portes, fermées depuis le 30 octobre dernier. Le Centre Pompidou-Metz accueille le public avec une riche programmation (Marc Chagall, Yoko Ono, «Aerodream», «Des Mondes construits»), avant d’en rajouter une couche la semaine prochaine avec Arcimboldo et un week-end anniversaire.
L’occasion de prendre la température auprès de sa directrice, Chiara Parisi.
Dans quel état d’esprit êtes-vous, la veille d’une réouverture tant attendue ?
Je suis très émue, à fleur de peau. Surtout que l’on est en train de déballer les œuvres d’Arcimboldo pour la prochaine exposition. Cet après-midi (NDLR : mardi), j’avais les larmes aux yeux… Cette réouverture, je la ressens physiquement. Il y a de l’excitation dans l’air, une forme d’adrénaline portée par toute une équipe. Autour de moi, c’est tout un savoir-faire qui s’agite, de l’affichage aux médiateurs.
Êtes-vous soulagée ?
Oui, il y a une forme de soulagement : on sort doucement d’une crise tristement intense. D’ailleurs, durant tous ces mois, on s’est longtemps demandés si un jour, on pourrait à nouveau présenter des œuvres au public, comme avant. C’était étrange, non ? Alors oui, cette réouverture, c’est un très bon moment. On est des passionnés et des professionnels. On se tient prêts, et demain (NDLR : aujourd’hui), tout sera merveilleux, évidemment !
Tout le monde n’a qu’une seule envie aujourd’hui : reconstruire le monde, économiquement et émotionnellement parlant
Attendre 203 jours avant de rouvrir les musées en France, était-ce justifié selon vous ?
(Elle coupe) Je ne pense plus qu’il faut poser la question comme ça, mais désormais regarder droit devant. C’est vrai, il y a eu d’importantes pertes financières, et de profondes blessures morales. Mais tout le monde n’a qu’une seule envie aujourd’hui : reconstruire le monde, économiquement et émotionnellement parlant. Sans perdre de vue, bien sûr, l’importance de l’esprit critique. Bref, bâtir de nouveaux modèles, inventer de nouvelles formes de résistance…
Qu’avez-vous fait durant ces longs mois, avec votre équipe ?
Au quotidien, il a fallu gérer la programmation. Faire, défaire, réajuster… Mais rien n’a été annulé, sacrifié, ce qui est le plus important. Dans ce sens, il a été nécessaire convaincre les musées-prêteurs de changer de date, et pas seulement pour cette année, mais pour les suivantes ! Pour nous, ça a commencé dès le premier confinement, en 2020, avec «Folklore», pour laquelle on a demandé une prolongation au Mucem. Elle a été d’emblée accordée, alors que du côté de Marseille, l’exposition n’a pas pu se faire (NDRL : elle ouvre ce mercredi). C’était très élégant de leur part. Même chose avec Nice pour Marc Chagall, et «Aerodream» avec la Cité de l’architecture et du patrimoine de Paris.
Ne pas montrer l’exposition «Chagall. Le passeur de lumière », aux résonances locales, ça aurait été triste, non ?
Franchement, ça n’était pas envisageable, surtout que tout public adore Chagall ! On voulait absolument garder cette exposition, qui explore l’importance du vitrail dans l’œuvre de l’artiste. Il en a réalisé plusieurs pour la cathédrale de Metz, qui, en plus, fête ses 800 ans. On devait s’inscrire dans cet hommage.
Financièrement, comment s’en tire le Centre Pompidou-Metz depuis mars 2020 ?
C’est une structure très stable. Certes, il a fallu réorganiser les dépenses et trouver de nouvelles formules dans la gestion. Bien sûr, les pertes sont là, car quand on ferme autant de mois, les recettes en prennent un coup, que l’on parle de billetterie, des scolaires, du mécénat… Tout est impacté ! Mais il y a eu de choses positives, comme la fréquentation l’été dernier, quasiment au même niveau que d’habitude. Bref, on tient le choc, aussi bien dans la programmation qu’en terme d’équilibre financier.
La crise sanitaire aura au moins réglé, ou pointé plutôt, une forme d’injustice : longtemps, on a considéré les musées comme élitistes
Comment, concrètement, allez-vous accueillir le public ?
Déjà, il y aura Annette Messager qui sera là, puisque qu’elle installe une de ses grandes œuvres dans le Forum, le cœur du bâtiment. C’est une belle coïncidence, non ? Bien sûr, les normes sanitaires seront toujours en vigueur, et c’est pour cela que l’on insiste auprès du public pour qu’il réserve en ligne. Ça aussi, c’est une nouveauté car d’habitude, on a à faire à des visiteurs qui aiment acheter leur billet le jour même. Mais comme nous, ils s’adaptent. D’ailleurs, pour Chagall, il y a de la demande !
Justement, pensez-vous que le public répondra présent les prochains mois ?
On l’espère (elle rit). La crise sanitaire aura au moins réglé, ou pointé plutôt, une forme d’injustice : longtemps, on a considéré les musées, centres d’art et autres institutions artistiques comme élitistes. Aujourd’hui, avec tout ce que l’on traverse, on voit l’importance de leur existence, la nécessité de leurs offres, même pointues ! Le public, qui réclame actuellement leur réouverture, est une preuve que les musées ont toujours été connectés avec lui, et n’avancent sûrement pas dans des sphères supérieures, hors de portée.
La semaine prochaine, le Centre Pompidou-Metz revient en force avec deux gros évènements. D’abord, l’exposition «Face à Arcimboldo», un artiste qui compte beaucoup pour vous…
Oui, j’ai découvert son œuvre quand j’étais au collège, vers l’âge de 14 ans, pour mon premier voyage scolaire ! Je suis partie de Rome à Venise à l’occasion de la première grande exposition qui lui était consacrée en Italie, au Palazzo Grassi. Ça a été un vrai émerveillement ! C’est plus tard que j’ai appris que c’était Pontus Hultén (NDLR : directeur artistique historique du Centre Pompidou de Paris dans les années 1970) qui l’avait organisé, et que j’avais vu aussi de l’art contemporain ! L’organiser à Metz, c’est lui rendre hommage, comme célébrer tous ces artistes légendaires.
Le week-end du 29-30 mai, le musée rattrape même son anniversaire, annulé en 2020 pour cause de pandémie, et fête ses dix ans en invitant gratuitement le public. Une célébration intitulée «Renaissance»…
Derrière l’appellation, il y a bien sûr un clin d’œil à Arcimboldo. Mais elle évoque surtout cette réouverture des musées, à Metz comme partout en France. Comme on ne peut pas totalement se lâcher, il y aura un rendez-vous, espérons-le plus festif, prévu encore le 18 septembre.
Justement, ne craignez-vous pas un retour en arrière, et une énième fermeture ?
Non, même si, malgré le vaccin et la situation qui a l’air de s’améliorer, ce n’est pas encore la vraie vie ! On est soumis à des jauges, je porte le masque pendant que vous parle… On est dans une phase de transition, et on croise les doigts pour retrouver la même situation qu’il y a deux ans !
Entretien avec Grégory Cimatti