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Rentrée littéraire : l’heure de se jeter à l’eau pour les primo-romanciers


(Illustration : DR)

La plus jeune à 20 ans, le plus âgé en compte 91 et si tout apparemment les sépare, ils ont au moins un point commun: publier leur premier roman dans le maelström de la rentrée littéraire.

Comme Line Papin la plus jeune des auteurs de cette rentrée et François Mayer, le doyen, ils sont 66 primo-romanciers à se jeter à l’eau alors que 560 livres sont annoncés en librairies entre le 18 août et le début octobre. « L’éveil » (Stock), le roman de la benjamine de cette rentrée se déroule à Hanoi, ville où Line Papin est née et a vécu jusqu’en 2005. Juliet, fille de l’ambassadeur d’Australie dans la capitale du Vietnam, tombe amoureuse d’un garçon « aux yeux jaune » qui ne sera jamais nommé.

Ce jeune homme, épris d’une certaine Laura, ne ressent pour Juliet que de la tendresse. Une histoire banale sans doute sauf que le charme opère tant le style est incroyablement maîtrisé. Laura disparaît, le garçon aux yeux d’or s’étiole, Juliet assiste impuissante à cet effondrement et Line Papin nous surprend en peignant si bien les fêlures de ces êtres fragiles. Seul premier roman publié par Actes sud, « Sauve qui peut (la révolution) » de Thierry Froger (on pense évidemment à « Sauve qui peut (la vie) » de Godard) est également un livre ambitieux. A la fois loufoque et savant, il imagine un film commandé à Jean-Luc Godard pour le bi-centenaire de la Révolution française.

Godard refusera de faire le film et Froger s’amuse à imaginer pourquoi. Et puisque le film devait porter sur Danton pourquoi ne pas imaginer un autre destin pour ce révolutionnaire. Choc des histoires, choc des époques, Froger se délecte en livrant au passage une belle réflexion sur le cinéma et le tragique de l’Histoire.

Une phrase de 320 pages

Les premières pages de « Garde-corps » (Lemieux) de Virginie Martin sont insoutenables. On assiste au viol de la narratrice alors qu’elle est encore collégienne. Des années plus tard, devenue ministre du Travail, elle retrouvera son tourmenteur devenu chauffeur. On sort groggy de cette lecture pourtant nécessaire tant elle rappelle que les violences faites aux femmes demeurent un fléau y compris dans les sphères policées du monde politique. Changement radical de registre avec « Je vais m’y mettre » (Allary) de Florent Oiseau, sans doute le roman le plus désinvolte de la rentrée et assurément l’un des plus drôles. On suit le parcours calamiteux de Fred, chômeur en fin de droits et champion de la procrastination. Le roman n’est pas sans rappeler « Un petit boulot » de l’Américain d’origine écossaise Iain Levison.

Et si la révolution commençait comme ça? « La rentrée n’aura pas lieu » (Don Quichotte) de Stéphane Benhamou imagine que, sans se concerter, les vacanciers du mois d’août refusent de rentrer reprendre le travail. Le gouvernement s’inquiète, le patronat menace de licencier en masse, les banques de fermer les comptes mais rien ne semble pouvoir arrêter cette révolution silencieuse. Mai 68 ne fut pas une révolution. Pourtant, jusqu’au milieu des années 1970, des jeunes abandonnèrent la fac pour « s’établir » en usine: un phénomène décrit en détail par la réalisatrice Virginie Linhart. Chloé Thomas y revient dans « Nos lieux communs » (Gallimard), un roman sensible et juste.

Il est connu comme figure montante de la scène rap française. Avec « Petit pays » (Grasset), Gaël Faye pourrait également s’imposer comme écrivain. Avec son double, Gabriel, 10 ans, fils d’un couple franco-rwandais (comme lui), Gaël Faye revient sur son enfance heureuse au Burundi avant la guerre civile et son cortège d’horreurs. Histoire d’exil encore mais pas seulement avec Négar Djavadi qui publie « Désorientale » (Liana Levi) un roman où l’on suit Kimia Sadr exilée iranienne en France. Il est question du Téhéran d’avant la révolution mais aussi d’homosexualité (Kimia voudrait un enfant avec sa compagne Anna), d’identité, de la France d’aujourd’hui.

Premier roman d’Ali Zamir, « Anguille sous roche » (Le Tripode) est le plus singulier. Dans l’océan Indien, une femme se noie. Elle se remémore son existence. Le roman ne compte qu’une phrase. La phrase s’étend sur près de 320 pages. Le point final, un point d’exclamation, sera celui du dernier souffle de la narratrice.

Le Quotidien/afp