Maoz Fine et son équipe plongent dans les eaux azur de la mer Rouge pour étudier une variété exceptionnelle de coraux qui résistent au réchauffement climatique… au moins pour le moment.
Par huit mètres de fond, à quelques dizaines de mètres du rivage, le corail aux formes étonnamment variées conserve ses couleurs rouge, orange, verte, avant de les perdre pour l’œil nu un peu plus loin et plus profond.
Ces coraux ne sont pas arrivés là par hasard. Ils ont été placés à dessein par le biologiste marin Maoz Fine et ses collaborateurs sur des sortes de gradins en métal suivant la déclivité de la rive en face de leur centre de recherches d’Eilat, à l’extrémité méridionale d’Israël, tout près du Sinaï égyptien.
Régulièrement, Maoz Fine et ses collègues descendent en équipement de plongée et écrivent leurs observations sur des blocs-notes conçus pour travailler sous l’eau.
Leur objectif: percer le secret de cette espèce de corail qui, au-delà du périmètre étudié par Maoz Fine, grandit naturellement dans le nord de la mer Rouge et résiste aux températures qui dévastent les coraux ailleurs dans le monde.
« Nous avons affaire ici à une population de coraux sur un récif qui résistent très bien à d’importants changements de température et qui seront probablement les derniers à perdurer dans un monde soumis à un réchauffement et à une acidification considérables des eaux marines », explique Maoz Fine avant de plonger.
Le réchauffement climatique et la hausse des températures de l’eau font blanchir et mourir les coraux un peu partout dans le monde. La Grande barrière australienne a ainsi subi en 2016 le pire épisode de blanchissement jamais connu par ce récif de 2.300 kilomètres, inscrit en 1981 au patrimoine mondial de l’Unesco.
Mais les coraux du golfe d’Aqaba, sur la mer Rouge, font exception, justifiant les recherches menées à l’Institut interuniversitaire des sciences marines d’Eilat.
Dans l’enceinte de l’établissement, en face des échantillons immergés directement dans le golfe, les chercheurs ont aligné des dizaines d’aquariums contenant eux aussi des spécimens.
Un robot trempe ses bras tour à tour dans chacun des bacs de verre pour effectuer des mesures et les transmettre à une base de données.
« Nous avons exposé les coraux sur des périodes prolongées à des températures élevées, plus élevées que les pics actuels de température de l’été et même plus élevées que les températures prédites pour la fin du siècle », rapporte Maoz Fine, qui enseigne également la biologie marine à l’université de Bar Ilan, dans le centre d’Israël.
« Ils n’ont pas blanchi »
Il explique cette singularité par leur provenance.
Originaires de l’océan Indien, les coraux ont franchi le détroit de Bab el-Mandeb entre Djibouti et le Yémen, où les eaux sont beaucoup plus chaudes que dans le reste de l’océan.
« Avec le passage dans une masse d’eau très chaude, une sélection naturelle s’est opérée au cours des 6.000 dernières années, et seuls (les coraux) qui ont réussi à franchir cette masse (d’eau chaude) sont arrivés ici », explique Maoz Fine.
Souvent pris pour des végétaux, les coraux « sont en fait des animaux vivant en symbiose avec une algue, une plante », souligne Jessica Bellworthy, une doctorante britannique qui étudie sous la supervision de Maoz Fine.
Le corail et l’algue « se rendent mutuellement service », dit-elle: par photosynthèse, l’algue procure à l’animal jusqu’à 90% de sa nourriture.
« Quand les températures sont trop chaudes, le lien de symbiose est rompu. L’algue laisse tomber le corail, qui donne l’impression de blanchir » parce qu’en fait, il a faim.
La disparition des coraux n’est pas une mauvaise nouvelle seulement pour les amateurs de plongée, qui affectionnent particulièrement la mer Rouge.
Les coraux comptent « pour tout l’équilibre de l’écosystème », offrant abri et nourriture à une faune variée, rappelle Jessica Bellworthy.
S’ils sont capables pour le moment de se défendre contre le réchauffement climatique, les coraux du nord de la mer Rouge sont toutefois exposés à d’autres dangers: les fertilisants, les pesticides et la pollution par les hydrocarbures les « endommagent et diminuent leur résistance aux fortes températures », s’inquiète Maoz Fine.
Il souligne la nécessité d’une action conjointe de la part de tous les pays riverains de la mer Rouge. Ce qui impliquerait non seulement la Jordanie et l’Egypte, les deux seuls pays arabes avec lesquels Israël a fait la paix, mais aussi l’Arabie saoudite, avec laquelle l’Etat hébreu n’a pas de relations officielles.
« Nous avons naturellement besoin de la coopération de tous nos voisins pour sauvegarder ce petit coin de mer », dit-il. « Le récif n’a pas de frontière. »
Le Quotidien / AFP