Après le choc de « Much Loved », film sur des prostituées interdit au Maroc, le réalisateur Nabil Ayouch revient en force avec « Razzia », Film choral foisonnant qui questionne les libertés individuelles.
Razzia met en scène les destins croisés à Casablanca de cinq personnages en quête de liberté, tandis qu’une révolte monte : une vieille femme venue à la ville avec son fils pour rechercher l’homme qu’elle aime, une femme libre qui refuse de se soumettre aux volontés de son mari, une adolescente des beaux quartiers qui apprend à se connaître, un restaurateur juif et un jeune homme de la Medina fan de Freddie Mercury.
Interdit aux moins de 16 ans au Maroc, où il est sorti mi-février, ce film, qui a été le candidat du Maroc aux Oscars, entrecroise également deux époques : le début des années 80, à travers l’histoire de l’instituteur d’un village berbère de l’Atlas obligé de parler arabe à ses élèves en pleine accélération des réformes de l’arabisation, et l’été 2015, «goulot d’étranglement des contradictions» d’une société prise dans «un conflit flagrant entre tradition et modernité», selon Nabil Ayouch.
Son précédent film, Much Loved, avait suscité en 2015 de violentes réactions au Maroc : son actrice principale Loubna Abidar s’était réfugiée en France après une agression. Le réalisateur de 48 ans, né en France, parle cette fois de personnages «qu’il a croisés durant son parcours depuis maintenant une vingtaine d’années qu’il habite à Casablanca, et pour l’un d’entre eux depuis son enfance à Sarcelles».
« Urgent de se rendre compte et de réagir »
«J’ai eu envie de parler d’eux et, à travers eux, de parler de nous. Ce sont des personnages que j’ai évidemment aimés» et «qui m’inspirent surtout par leur capacité à résister», dit-il. «C’est vraiment un film sur les libertés individuelles et sur la résistance», poursuit celui qui n’a rien perdu de son engagement malgré la polémique et les attaques – jusqu’aux menaces de mort – qui ont accompagné Much Loved, interdit de projection au Maroc où il a été considéré comme «un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine».
«Ça aurait pu être un traumatisme à vie, ça a été une blessure violente qui ne s’est pas encore complètement refermée», confie Nabil Ayouch. «Mais ce n’est pas ça qui m’a donné envie d’abdiquer. Au contraire, ça a renforcé mes convictions, et surtout ma conscience du fait qu’il y a des combats à mener, et que c’est maintenant qu’il faut les mener», poursuit-il.
«Je ne suis pas quelqu’un qui fonctionne sur la peur», assure le réalisateur, avec un regard déterminé. «Après, le jour où je sentirai que je ne peux plus m’exprimer en toute liberté au Maroc, je partirai. Mais aujourd’hui, j’ai envie de continuer à conquérir des espaces de liberté.»
Pour jouer le rôle de Salima, femme qui veut pouvoir décider d’avoir ou non un enfant, de danser ou de fumer, de mettre une robe moulante dans la rue ou un maillot de bain deux-pièces à la plage, Nabil Ayouch a choisi sa compagne, Maryam Touzani, aussi coscénariste du film, qui connaît là sa première expérience de comédienne. Elle-même cinéaste, elle dit avoir eu «plus que tout un désir incommensurable de pouvoir raconter sa vérité de femme à travers un rôle, après ce qui est arrivé à Loubna Abidar». «C’est une manière de dire qu’on ne va pas se laisser faire, qu’on ne va pas arrêter de dire ce qu’on a à dire et de faire ce qu’on a envie de faire», a-t-elle expliqué.
«La position de la femme au Maroc, je sens franchement qu’elle est en train de reculer à un rythme effrayant, a-t-elle ajouté. C’est pour cela qu’il est urgent de se rendre compte et de réagir, de résister, chacune comme on peut.»
Le Quotidien/AFP