Quarante-trois ans après sa mort, il reste un mythe et l’un des plus gros vendeurs de disques : Bob Marley est aujourd’hui au cœur d’un biopic trop caricatural. Heureusement, il y a d’autres moyens de se rattraper !
Oubliés les projets avortés de Martin Scorsese et Oliver Stone : Bob Marley sur grand écran cette semaine avec One Love, biopic sur la période 1976-1978, entre la tentative d’assassinat manquée, l’album mythique Exodus et la découverte de la maladie. «On a passé le test de l’avant-première en Jamaïque et les gens ont bien reçu le film. Ouf, car tout le monde là-bas nous disait : « Attention, ne déconne pas avec Bob ! »», sourit Reinaldo Marcus Green, le réalisateur, rencontré à Paris.
L’Américain a signé précédemment l’excellent King Richard, articulé autour de Richard Williams, père des championnes de tennis Venus et Serena (incarné par Will Smith), poussées vers les sommets par leur géniteur. Mais le défi est tout autre avec une superstar de la musique, parti de la sphère reggae pour s’inscrire dans la pop culture en dépit de sa disparition précoce en 1981 à 36 ans, des suites d’un cancer.
«Énorme responsabilité»
«C’est une énorme responsabilité, tout le monde me disait : « Fuis, n’y touche pas »», décrit le cinéaste. Reinaldo Marcus Green raconte qu’il est comme cet enfant qu’on voit tenter d’échapper à des champs en feu dans une scène onirique du film. «Comme ce gamin, à un moment, il faut arrêter de courir et faire face! C’était le moment pour moi, la famille Marley était prête à faire ce film, alors pourquoi pas moi?»
Ziggy Marley (le premier fils de Bob), Rita Marley (la veuve), Cedella Marley (la fille) apparaissent au générique en tant que producteurs, tout comme un certain Brad Pitt. Ziggy Marley a ainsi validé le choix de Kingsley Ben-Adir pour incarner son père. L’Anglais a déjà interprété Malcolm X ou encore Barack Obama, mais dans des films bien moins en vue que cette superproduction. Dans quel état était l’acteur lors de sa première entrevue avec Ziggy Marley? «C’était très intense ! Il fallait que je sois dans cet état, car c’est comme ça qu’était Bob Marley», répond le trentenaire, également croisé à Paris.
«Qui ne le connaît pas ?»
Stratégie payante ! «Kingsley assure vraiment, il n’essaie pas de parodier, il est fidèle», salue l’héritier de la légende dans une vidéo livrée à la presse par la production. Depuis quelques jours, les affiches du film avec le visage en gros plan de Kingsley Ben-Adir s’étalent un peu partout dans les villes du globe. «Ce n’est pas mon visage que je vois, mais tout l’amour que les gens ont pour Bob Marley. Encore aujourd’hui, qui ne le connaît pas?», rebondit le comédien.
Même si la famille Marley a validé le biopic, One Love (titre d’un des premiers tubes, écrit en 1965) évite pas mal de pièges de l’hagiographie. «Bob sympa, Bob relax, c’est cliché! II était généreux, inspirant, mais il n’était pas parfait, même si sa mission, transcender les messages de paix et d’unité dans sa musique, l’était», insiste le comédien. L’acteur «apporte ce côté humain» dans le biopic, loue Ziggy Marley.
Kingsley Ben-Adir au chant
Un des grands moments du film est d’ailleurs une explication de texte entre Rita et Bob, avec un chanteur remis à sa place. Rita Marley, autre personnage complexe, mériterait son biopic. Mais One Love n’est toutefois pas dénué de défauts – un peu long, pathos en flash-back, fin empruntée – mais se démarque par une fenêtre chronologique forte et la crédibilité des séquences musicales et de la peinture du show-business.
Kingsley Ben-Adir – qui a appris à chanter pour le film – mêle sa voix aux enregistrements de Bob Marley. «Et on a entouré Kingsley à l’écran de vrais musiciens, parfois même des fils des musiciens de Marley, car eux seuls savent comment tenir une guitare, comment la reposer…», dévoile Reinaldo Marcus Green. Le cinéaste a montré, juste avant sa mort fin 2023, un premier montage à Neville Garrick, graphiste de la pochette de Exodus, ami de Bob Marley. «Il m’a dit : « Je peux partir maintenant », alors qu’il allait un peu mieux à ce moment…», souffle le cinéaste, des sanglots dans la voix.
Bob Marley : One Love, de Reinaldo Marcus Green. Actuellement en salles.
Tout le monde en Jamaïque nous disait : « Attention, ne déconne pas avec Bob! »
Bob Marley en trois actes
Non, il n’est pas évident de se faire un avis sur Bob Marley, ni de mieux le connaître à travers le film One Love, bien trop lisse. Ce n’est d’ailleurs sûrement pas son intention. Qu’importe ! Le Quotidien corrige le tir et propose trois indispensables parmi la liste interminable de documentaires qui lui sont consacrés et d’enregistrements qu’il a laissés.
Le Marley intime de Macdonald
Marley (2012), c’est le documentaire de référence réalisé par Kevin Macdonald (The Last King of Scotland). Un portrait dense (près de 2 h 30) et fidèle du pape du reggae, permis grâce aux archives familiales auxquelles le cinéaste a eu accès – ce qui lui a permis de collecter une mine d’informations et d’anecdotes. Truffé de séquences musicales (de grande qualité), d’interviews de la star, de témoignages poignants de ses proches (sa femme Rita, Peter Tosh, Bunny Livingston…) et autres (musiciens, producteurs, amis, cousins, hommes politiques…), ainsi que d’images d’archives privées rares, ce film dévoile les aspects méconnus de la personnalité complexe de Bob Marley : ses origines métisses (qui ont fait de lui un paria à Trench Town), sa conversion au rastafarisme, son infidélité (il a eu onze enfants de sept femmes différentes), ses doutes et obsessions… Si la forme est assez classique – une alternance de vidéos et photos avec des interviews face caméra, dans un récit chronologique –, le résultat est épatant et ne tombe jamais dans l’hagiographie, particulièrement quand il brosse les derniers mois de la vie de l’icône. À voir actuellement sur le site d’ARTE (jusqu’au 12 mars).
Les enregistrements de Lee Scratch Perry
Après un voyage chez sa mère aux États-Unis (où il travaillera de nuit à l’usine Chrysler), Bob Marley retrouve les Wailers au début des années 1970, bien décidés à affirmer leur indépendance et à s’affranchir des producteurs jamaïcains qui ne paient jamais leurs artistes. Sans le sou, ils se tournent alors vers un autre «dissident», Lee Scratch Perry qui, derrière ses excentricités, est un génie de la console (il sera notamment le précurseur du sampling). Avec lui et une section rythmique de tous les diables – soutenue par les deux frères Barrett –, Bob Marley, Peter Tosh, Bunny Livingston, entre 1970 et 1971, gravent des chefs-d’œuvre impérissables, dans leur jus, authentiques, loin de l’aspect aseptisé du premier album signé chez Island Records (Catch a Fire, 1973). Une cinquantaine de compostions aux voix somptueuses comme Kaya, Soul Rebel, Duppy Conqueror, Small Axe, Sun Is Shining et bien d’autres à (re)découvrir dans la série The Complete Bob Marley & The Wailers 1967-1972.
En bus, direction Babylone !
Dans la carrière de Bob Marley, il y a eu des concerts d’importance : celui, par exemple, du Lyceum Theatre de Londres en 1975 (qui a fait beaucoup pour sa notoriété mondiale), du National Heroes Park à Kingston en 1976 (deux jours après la tentative d’assassinat sur le musicien), du stade Rufaro pour l’indépendance du Zimbabwe en 1980 ou encore, deux mois plus tard, de Dortmund pour le «Uprising Live!» (l’une de ses performances les plus émouvantes). Sans oublier le «One Love Peace Concert» de 1976 où il rapprochera sur scène Michael Manley et Edward Seaga, farouches opposants politiques de Jamaïque. Mais pour ce qui est de l’enregistrement, celui qui reste dans les mémoires est le double album Babylone by Bus, enregistré le 26 juin 1978 à Paris (et non à Amsterdam, Copenhague et Londres comme c’est écrit sur la pochette). Ce live est le témoin de la tournée du groupe de 1977-1978, avec Bob Marley, gros pansement au pied, devenu la première star du tiers-monde. Un disque «best-of» tout en énergie et instants de grâce. Dessus, l’exubérant guitariste Junior Marvin donne une couleur rock à l’ensemble. Pour ne rien gâcher, la pochette est aussi une franche réussite, surtout dans sa version vinyle.