Pour Mousline, local ou bio, il faut choisir. La marque du géant Nestlé lance pour la première fois une purée bio avec des pommes de terre venues… d’Allemagne, loin de ses producteurs historiques de proximité peu nombreux à prendre le risque de convertir leurs terres.
L’usine de la marque créée en 1963, installée à Rosières-en-Santerre (Somme), travaille depuis ses origines avec 169 producteurs dans un rayon de 30 km, qui fournissent 70% des pommes de terre transformées sur le site, soit 87 000 tonnes, le reste venant d’Ile-de-France, de Beauce et de Normandie.
Un produit « 100% français », faisait valoir en 2016 lors des « Assises du produire en France » la marque-leader des purées déshydratées, avec 70 % de part de marché et un chiffre d’affaires de 56 millions d’euros en 2017, en hausse de 1,5 %. Mais, depuis début septembre, de nouveaux paquets se sont glissés dans les rayons des supermarchés, labellisés « agriculture biologique », avec des pommes de terre cultivées et transformées… en Basse-Saxe et Saxe-Anhalt, avant d’être ramenées dans le nord la France pour être conditionnées.
Au risque de brouiller les cartes pour les consommateurs. « On peut se demander l’avantage d’un produit qui a fait des milliers de kilomètres. C’est un nouvel exemple absurde qui risque de nuire à l’image du bio », estime Robert Bréhon, président de l’UFC-Que Choisir des Hauts-de-France, d’autant que l’origine des pommes de terre n’apparaît pas sur l’emballage.
« Nuire à l’image du bio »
Avec ce choix très récent, la direction du géant suisse de l’alimentation entend répondre à la demande de plus en plus forte en bio et s’aligner sur des marques de distributeurs, qui font le même pari.
Une stratégie rompant avec le circuit court, semblable à d’autres marques du groupe, comme les porcs bio Herta de l’usine de Saint-Pol-sur-Ternoise (Pas-de-Calais) importés du Danemark et d’Espagne et les petits pots bio pour enfants transformés dans les Vosges à base de produits venus d’Italie et de Pologne.
« Souvent, il est nécessaire de commencer à s’approvisionner là où il y a suffisamment d’offre bio », affirme Pierre-Alexandre Teulié, directeur général chargé du développement durable pour la France. « L’offre locale manque, surtout pour les marques nationales qui produisent des gros volumes (…) S’il y avait 5 000 ou 10000 tonnes de patates bio à proximité, on ne se poserait pas la question. »
En France, la surface de pommes de terre bio de consommation couvrait en 2017 2 000 hectares, soit 1,2% de la surface totale française -chiffre en augmentation- quand il y avait déjà 8 600 hectares outre-Rhin en 2015, selon l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab).
« Pour produire un hectare bio, il faut huit hectares, c’est très complexe », explique Jean-Luc Guyon, président du groupement des producteurs de l’usine, s’interrogeant sur l’intérêt de faire du bio pour un produit industriel. « On ne ferme pas la porte mais il faudrait un système de partenariat pour garantir la production ».
Rendement divisé par deux
Car la conversion, qui dure au moins deux ans, le temps d’assainir les sols, est risquée: le rendement est en moyenne 50% inférieur, à cause du mildiou, un champignon qui se développe en cas d’humidité excessive, a fortiori dans une région soumise à l’influence océanique, explique Mathieu Conseil, de l’Itab.
En conventionnel, les producteurs le traitent avec des produits phytosanitaires de synthèse, interdits en bio. « Au centre de l’Allemagne, avec un climat continental, ils n’ont pas ce problème » et les coûts de production sont plus bas, poursuit-il, supposant également que « Nestlé n’est pas suffisamment bon payeur » pour inciter les producteurs de proximité, qui doivent déjà répondre à un cahier des charges imposant peu de pesticides.
Quelques Picards se lancent quand même, à l’image d’Alexandre Deroo, qui présume que McCain ou Vico, implantés régionalement, pourront « peut-être » prendre la même direction. « C’est dommage par rapport aux enjeux environnementaux d’aller chercher des pommes de terre aussi loin », déplore-t-il, espérant pouvoir fournir dans peu de temps Nestlé.
À condition de s’entendre sur les prix… Selon Jean-Yves Matton, directeur de l’usine de 174 salariés, le prix de la pomme de terre bio peut être deux à quatre fois plus cher que la classique. Ce qui ne veut pas dire que c’est ce que paie Mousline, qui garde secrète son offre, en Allemagne.
AFP
Et oui, il y a toujours quelques surprises.