Un an de travail, 274 éléments à remonter : œuvre proliférante, le «Magasin» de l’artiste Ben est prêt à recevoir les visiteurs du Centre Pompidou après une opération complexe et innovante du discret département restauration de Beaubourg.
A raison de 300 à 400 interventions par an, de nature et d’ampleur très variées, tant les œuvres contemporaines sont diverses, ce service est particulièrement aguerri. Mais la restauration du Magasin, tout à la fois sculpture, installation et performance, constituait une sorte de défi. Cette œuvre est la reconstruction du véritable commerce de disques d’occasion qu’a tenu Benjamin Vautier, dit «Ben», à Nice, 32, Rue Tonduti de l’Escarène, de 1958 à 1972. Il est entré dans les collections du Musée national d’Art moderne – Centre Pompidou en 1975 et a été exposé à partir de 1977.
C’est une œuvre vivante, nourrie de dizaines d’objets de récupération hétéroclites: ampoules, réveil, ventilateurs, panneaux publicitaires, bocaux, brochures… sans compter les célèbres graphies de Ben, telles «n’importe qui peut avoir une idée» ou «l’Art ment». En disciple de Marcel Duchamp, Ben va jusqu’au bout de sa logique. Puisque «tout est art», il fait art de tout : il «signe» les couleurs, les tableaux des autres, l’horizon et même Dieu en personne. «Je ne pouvais plus rien jeter, une allumette était aussi belle que la Joconde (…) J’ai tout cloué», a-t-il raconté.
«Il y avait un gros travail de nettoyage et de refixage», explique Isabelle Merly, responsable de cette entreprise hors norme, menée en accord avec l’artiste et dont l’étude préparatoire a commencé en 2009. L’œuvre a aussi une dimension historique : sous diverses appellations, le Magasin a été le rendez-vous des jeunes artistes de la dite Ecole de Nice, mais aussi de groupes comme Nouveau Réalisme, Supports/Surfaces ou Fluxus, à partir de 1962.
Ode à Gala
Pour mener à bien sa restauration, financée par la Fondation BNP Paribas, un espace dédié a été aménagé au sein des immenses réserves du centre (quelque 15.000 m2 au nord de Paris), où le département restauration est hébergé. Les éléments de l’œuvre ont été étalés sur de grandes tables, en attendant l’examen des experts. Une autre restauration majeure, mais très différente, est en cours dans l’atelier de restauration qui emploie huit salariés à temps plein, auxquels s’ajoutent, selon les chantiers, des prestataires extérieurs.
Elle porte sur une peinture murale de Max Ernst, réalisée au rez-de-chaussée d’une villa qu’il partageait avec Paul et Gala Eluard à Eaubonne (Val-d’Oise) en 1922. En 1967, ces œuvres, peintes à l’huile sur enduit de plâtre et recouvertes plus tard de papier peint, ont été déposées, transférées sur toile et dispersées dans plusieurs musées. Une opération qui, selon le projet de restauration, a «engendré des dégâts matériels importants, en particulier de multiples lacunes». L’œuvre, reçue en dation par le Centre Pompidou en 1982, est intitulée «il ne faut pas voir la réalité telle que je suis» (référence à un poème d’Eluard) et constitue une ode à Gala, transfigurée par le peintre surréaliste allemand.
«Peu de musées ont une équipe de restauration intégrée», souligne Véronique Sorano, directrice du département. «Une grande partie du travail du service consiste à suivre les œuvres, à s’assurer que leur état leur permet de voyager, à vérifier les conditions d’acheminement. Une partie du budget de restauration est souvent prise en charge par les emprunteurs des oeuvres. «Les prêts sont beaucoup plus fréquents qu’autrefois» et «si une œuvre voyage trop souvent, cela a des conséquences», explique Véronique Sorano, qui fait partie du comité de prêt. D’où l’importance des emballages souvent très sophistiqués utilisés pour le transport des oeuvres, y compris sur de petites distances. Ils sont réalisés sur mesure dans un atelier spécialisé situé lui aussi au sein des réserves du Centre.
Le Quotidien/AFP