Le Piano Day offre toujours d’étonnantes surprises. Nouvelle illustration avec le trio Sielle, qui joue ce vendredi soir aux Rotondes.
Le piano serait-il devenu à la mode? Il y a de quoi s’interroger en consultant le site du Piano Day, manifestation célébrant justement l’instrument chaque 88e jour de l’année. Il y a peu, la démonstration se déroulait dans un relatif anonymat. Aujourd’hui, les propositions fleurissent. «La responsable de communication doit sûrement péter un plomb… Ça dure deux semaines et il y a tout et n’importe quoi!», soutient Vincent Le Gac, qui, en 2017, s’était malgré tout déjà fait une place dans ce menu chaotique en s’acoquinant, lui et ses deux amis de Heartbeat Parade, avec la musicienne «classique» luxembourgeoise Françoise Tonteling.
Il récidive d’ailleurs dès ce soir, aux Rotondes, lieu qui avait vu naître son projet Sielle : «Il y a de ça quatre ans, j’hésitais à reprendre le piano, souligne-t-il. Il faut dire que j’en avais marre des contraintes de groupe. En solo, tout est plus simple! J’ai finalement joué cet album durant les Congès annulés, sans le moindre chant.» Ce disque, c’est Étincelante Douceur, 23 minutes de piano brut – «du cœur aux mains», dixit «Vinch» – qui se mêlent aux envolées vocales, entre soul et slam, d’un duo atypique, rencontré à un festival à Thionville : Elise Mazzarini et Franck Crémel. Confidences : «Je suis tombé sous le charme de leur chant et leur attitude.»
Vincent Le Gac, qui n’aime pas «rester trop longtemps tout seul» et qui se voyait mal renfiler le queue de pie de l’époque, saisit l’opportunité : «deux-trois mails» plus tard, l’affaire était réglée. Enfin, presque… Rester à incorporer les voix aux mélodies. Élise Mazzarini : «Du fait de notre éloignement réciproque, on a tout fait à distance. Vincent nous a balancé une maquette en disant : « Posez-vous où vous voulez! ». J’ai dû me passer le morceau en boucle des centaines de fois, afin de saisir les mouvements, les phrases, le rythme… Mon ex-petit ami s’en souvient encore!»
Trois interprétation sensibles
Étincelante Douceur conjugue ainsi trois interprétations «sensibles» d’un seul et même poème d’Edgar Allan Poe, unique fil rouge de ce chassé-croisé : «Tout est né de l’émotion que cette œuvre génère», soutient «Vinch» qui, comme dans cet Annabel Lee, tutoie aussi les dieux en s’affranchissant des rigides formats habituels : «Des chansons couplet-refrain de 3’30 », on peut en faire 10 000!…» Une liberté et un sens du décalage qui se retrouvent sur scène, qu’il a voulu forcément décloisonnée. «Redistribuer l’espace scénique est important», dit-il.
Avec Sielle, le piano est donc placé au milieu de la salle, et les deux chanteurs, «anonymes», assis parmi le public, interviennent sans prévenir… Une théâtralité qui, si elle peut amener quelques confusions, pourrait s’enrichir à l’avenir de nouveaux intervenants (batterie, saxophone, violoncelle…). «Oui, on cherche à créer la surprise, explique le musicien. Les albums ne se vendent plus. Autant alors proposer des choses différentes, non?»
À l’instar d’autres artistes préférant les chemins de traverse (Nils Frahm, Chilly Gonzales, Ólafur Arnalds, Martin Kohlstedt, Agnes Obel…), Sielle désire ainsi, également, rendre le piano «plus accessible» sans pour autant succomber aux sirènes de la facilité. «Sielle, c’est aussi une musique qu’on regarde», synthétise Élise Mazzarini. Et qui s’écoute la tête dans les nuages.
Grégory Cimatti.