Un train de nuit, une douzaine de personnages, certains mourront. Paris-Briançon est un huis clos la nuit à travers la plaine pour un grand roman à suspense, le vingt-troisième de Philippe Besson. Rencontre.
La nuit, certains mentent. Surtout quand ils prennent le train à travers la plaine. D’autres ont manqué le TGV, et se retrouvent compagnons d’une nuit avec un médecin qui va faire l’état des lieux de la maison de sa mère, une «working girl» et son enfant, un représentant de commerce un peu beaucoup balourd, un couple de retraités qui file en week-end ou encore un groupe de jeunes.
C’est Paris-Briançon, le nouveau roman de Philippe Besson. Une douzaine de personnages dont certains seront morts au lever du jour. Le roman du huis clos, uni en lieu, en temps en en action. Les paysages se laissent deviner dans la noirceur nocturne. On se regarde, on se jauge et, vite, on se parle.
Chacun(e) trimballe ses joies, ses peines, ses amours, ses tourments et ses non-dits. La «mécanique du hasard» si chère à l’auteur a commencé son œuvre. L’ombre de la mort flotte dans ce train. Amitiés et amours se seront nouées durant cette onzaine d’heures qu’aura duré le trajet. Le temps suffisant et nécessaire à l’auteur pour sonder encore et encore l’âme humaine.
Comment vous est venu ce livre dont l’histoire se déroule dans un train de nuit ?
Philippe Besson : C’est parti de la lecture d’un article sur la réouverture de lignes de trains de nuit. Ça a relancé en moi des souvenirs de trains de nuit que j’ai empruntés dans ma jeunesse, le Paris-Briançon ou le Bordeaux-Vintimille. J’aime cette ambiance du train de nuit, il y a une ambiance, une promiscuité qui crée l’intimité. C’est très romanesque.
Pour ce nouveau roman, comme souvent, vous évoquez la « mécanique du hasard« …
J’ai beaucoup écrit sur le hasard, ce hasard des rencontres et ce qu’il fabrique. Une grande part de notre vie doit beaucoup au hasard. Nous affrontons des incidents, des accidents qui nous font bifurquer, changer de trajectoire… Dans ce train de nuit, le hasard joue un rôle essentiel. Il réunit, au départ, des gens qui a priori n’ont rien pour se rencontrer. Et pour l’écrivain, ça permet de mélanger les personnages, avec leurs origines et leurs personnalités différentes. Dans un train de nuit, on s’en remet au hasard…
Pour ce Paris-Briançon, vous avez opté pour un procédé littéraire qu’on trouve plutôt au théâtre…
Oui, je reconnais, c’est théâtral. Mais dans ce train de nuit, il y a une dimension de comédie et de tragédie. On ne peut pas échapper à ce qui va se produire. Alors, pour le lecteur et pour moi, l’auteur, ça crée une proximité. Peut-être parce que les personnages paraissent heureux, mais c’est une apparence. Ils ont tous une blessure, un déni…
C’est d’abord un livre. Il y a le silence de l’écriture, celui de la lecture
Très tôt dans le roman, vous avez annoncé que certains des personnages seront morts au lever du jour. Comment le romancier a-t-il choisi ceux qui allaient mourir ?
Je voulais passer un contrat avec le lecteur. Créer tout de suite une tension qui attire l’attention. Rappeler l’urgence existentielle. Mais je suis très attaché à mes personnages. D’ailleurs, il vaut mieux, puisqu’on passe au moins six mois ensemble, le temps de l’écriture !
Donc, oui, il m’a fallu choisir qui allait mourir. Et pour ces disparitions, j’ai opté pour l’injustice. Faire mourir les personnages envers lesquels on avait le plus d’empathie… La mort peut venir de l’insoupçonnable, de l’inenvisageable ; il y a comme une ombre qui flotte…
Après Arrête avec tes mensonges (2017), vous aviez confié que plus jamais, vous n’écririez comme avant…
Pour la première fois, j’ai écrit un roman à suspense, un roman choral, avec une douzaine de personnages, alors que jusqu’alors, mes livres tournaient autour de deux, trois personnages… À chaque roman, il me faut trouver des techniques narratives différentes et je tente des choses, même si je reste fidèle à ce qu’on appellerait ma « marque de fabrique » : creuser le sentiment et détecter la fragilité des êtres.
Des critiques parlent de Paris-Briançon comme d’un « livre très cinématographique ». C’est un compliment pour l’écrivain que vous êtes ?
C’est d’abord un livre. Il y a le silence de l’écriture, celui de la lecture. Mais je suppose aussi que le livre fabrique des images. En fait, ce qui m’importe, c’est que le lecteur soit dans le train avec les personnages. Qu’il soit actif, que sa sensibilité y ait une grande part… C’est le charme utile de l’écriture, de la lecture.
Paris-Briançon,
de Philippe Besson. Julliard.
Philippe Besson raconte son top 5
Paris-Briançon est le 23e roman de Philippe Besson, qui a changé de vie en 2001 avec la publication de son premier roman. Deux décennies d’écriture dont l’auteur présente ses cinq romans préférés.
1. Arrête avec tes mensonges (2017)
L’auteur aperçoit dans le hall d’un hôtel une silhouette qu’il croit reconnaître, celle d’un garçon avec qui il a eu une relation amoureuse compliquée dans sa jeunesse. Cette coïncidence extraordinaire est l’évènement déclencheur qui va faire remonter à la surface les souvenirs. C’était à Barbezieux, lors de l’hiver 1984, l’auteur et narrateur, pour la première fois, tombait éperdument amoureux d’un camarade de lycée. Ils ont 17 ans, c’est l’année du bac et leur amour différemment partagé va durer six mois. «C’est le texte qui me ressemble le plus. La clé de mon parcours littéraire. C’est aussi un point de bascule dans mon parcours, tout comme dans ma vie personnelle.»
2. Paris-Briançon (2022)
Le temps d’une nuit à bord d’un train-couchettes, une douzaine de passagers font connaissance. Ils nouent des liens, laissent l’intimité et la confiance naître, les mots s’échanger… et les secrets aussi. Derrière les apparences se révèlent des êtres vulnérables, victimes de maux ordinaires ou de la violence de l’époque, des voyageurs tentant d’échapper à leur solitude, leur routine ou leurs mensonges. Ils ne se doutent pas que certains n’arriveront jamais à destination. «Il y a toujours une préférence pour le livre qu’on vient d’écrire. Je suis encore tout entier dans cet élan et cette dynamique qui me plaisent beaucoup. Il m’inspire encore beaucoup de fierté.»
3. En l’absence des hommes (2001)
Durant l’été 1916, un adolescent vit une intense histoire d’amour avec un voisin soldat en permission… et se lie d’une amitié platonique avec Marcel Proust. Dans ce temps d’extrême tension, la passion entre les deux hommes apparaît comme une délivrance. Concis, érotique et violent, le roman appelle le questionnement sur la nécessité d’écrire et sur la transmission. Une histoire poignante, délicatement emplie de langueur. «Mon premier livre. Il m’a fait naître comme écrivain. C’est un livre de naissance. De renaissance, même…»
4. L’Arrière-saison (2002)
Au café Phillies, Ben, le serveur, a connu Louise et Stephen à l’époque où ils étaient amoureux. Il connaît tout de Louise car il l’a vu sombrer, souffrir, s’accrocher après leur séparation, accueillant les confidences sans juger. Stephen, lui, a épousé une autre femme, avec qui il a eu des enfants. Alors, comment renouer le lien avec Louise après cinq années de séparation? «Un exercice délicat, qui m’a été inspiré par une toile d’Edward Hopper, Nighthawks. Ce livre m’a beaucoup accompagné. Il est habité par la mélancolie, un thème autour duquel j’ai, jusqu’à ce jour, beaucoup tourné.»
5. Un garçon d’Italie (2003)
Trois narrateurs, qu’on découvre vite personnages principaux, se relaient pour rapporter une histoire. Avec un mystère à Florence, en Toscane. Il y a deux hommes, une femme. Deux vivants, un mort. Et surtout les vivants ignorent la cause de la mort du mort, qu’on suppose violente. Luca, Leo et Anna portent le deuil. Un roman tout en épure… «Je pense régulièrement à ses personnages auxquels je me suis attaché, alors qu’ils sortent tout droit de mon imagination. Et puis, ce roman me ramène à tout coup à Florence…»
De notre correspondant à Paris, Serge Bresssan