Changer sa perception du monde dans une déambulation au cœur des forêts du Luxembourg : avec De Bësch, le collectif Volleksbühn propose une expérience immersive en pleine nature pour mieux aller à l’essentiel.
Chercher sa propre vérité, construire sa réalité, inventer son bonheur… À travers ces élans qui ont toujours préoccupé l’humanité et qui sont – particulièrement aujourd’hui – d’une brûlante nécessité dans un monde qui marche sur la tête, le collectif Volleksbühn offre une réponse toute personnelle, sous la forme d’un grand bol d’air. Sans «théâtre fixe» depuis sa naissance en 2018, il est en effet habitué aux propositions singulières. Autant d’expériences hors les murs qui nécessitent de prendre des chemins de traverse. Avec sa nouvelle création, De Bësch, ceux-ci deviennent plus concerts et mènent, de façon sinueuse, au cœur des forêts du Luxembourg.
D’ailleurs, pour rejoindre la troupe, alors en pleine répétition dans celle du Gaalgebierg, il faut, par petits groupes, suivre un guide. Parmi eux, le comédien Dominik Raneburger ouvre la marche et ponctue sa progression de quelques principes : «Imbibez-vous de la réalité!», martèle-t-il par exemple d’un pas cadencé, avant de faire halte devant un bosquet, face auquel il faut comme prêter serment… Une communion à la fraîche, et au naturel, seulement entrecoupée de rires d’enfants, de chiens qui aboient et du bruit lointain des débroussailleuses.
Au bout du chemin, la metteur en scène Anne Simon, bien droite dans ses Dr. Martens d’un rouge rutilant, accueille les égarés d’un «bienvenue au Bësch!». Voilà un an, avec son compère Max Jacoby, qu’ils préparent cette mise au vert, justifiée par le besoin pressant de retrouver du souffle, restreint par la pandémie. «Il y avait cette frustration de devoir passer par le net pour faire du théâtre, confie ce dernier. On a eu envie de sortir, de faire un vrai spectacle! D’où ce projet où l’on serait sûr que le public pourrait venir.» Un «truc léger», quasi cathartique, qui, durant de longs mois de maturation, a pris de l’envergure.
Ce n’est pas un exercice intellectuel. Ça doit rester du divertissement!
Soit six acteurs, trois forêts à investir et trois heures de déambulation que la metteur en scène souhaite «méditative, sensuelle et poétique», malgré le poids des références empruntées pour l’occasion : les romans Lord of the Flies et Alice in Wonderland, ainsi que le film Matrix pour les plus simples, à d’autres plus ardues telles que Schrödinger, Descartes, Nietzsche, Baudrillard, Borgès… Un imposant éventail pour aborder des questions lourdes de sens : qu’est-ce que la vérité? Dans quelle réalité voulons-nous vivre? Avons-nous vraiment le libre arbitre ou le choix n’est-il qu’une simple illusion? En somme, réfléchir à ce qui est «essentiel ou pas», et comment, par ruissellement, «on mène sa vie», synthétise Anne Simon.
Si la physique quantique trouve aussi sa place dans le récit, aux multiples accroches (littéraire, mythologique, religieuse, philosophique, scientifique…), l’ensemble ne se veut pas autant casse-tête : «Le spectateur n’est pas obligé d’avoir toutes ces références, ni de devoir tout comprendre», rassure Max Jacoby, vite relayé par sa partenaire : «Ce n’est pas un exercice intellectuel. Ça doit rester du divertissement!»
Ainsi, pour un plus grand lâcher-prise, une dizaine d’installations (lumière et son) ponctuera la balade nocturne. Et «si quelqu’un s’ennuie, il pourra toujours manger une saucisse et boire un coup à la buvette!», lâchent-ils d’une même voix. Sur cette précision, le comédien Pitt Simon sort justement de nulle part avec un sac bien garni, de quoi faire un petit barbecue. «Nous, on s’amuse déjà!», rigole la bande en cœur.
Ensemble, dans quelques jours, ils s’amuseront à proposer une performance immersive où le public explorera par lui-même un monde «fictif mais tactile». Anne Simon reprend l’explication : «Concrètement, déjà dans la navette qui les amènera sur place, les gens vont avoir différentes informations. Ensuite, ils pourront suivre les personnages qui les intéressent, fouiller les lieux, partager leur connaissances…» Bref, une expérience à la fois individuelle et collective, à la croisée de la pièce de théâtre et de la chasse au trésor.
Développée généreusement en coproduction (Kinneksbond, CAPe, Kulturfabrik, Aalt Stadhaus, Trifolion, Kulturhaus, Prabbeli, ARTIKUSS, Mierscher Kulturhaus), De Bësch, pour ne léser personne, s’étale dans différents endroits du Grand-Duché, «à la topographie totalement différente», précise Anne Simon : à Belvaux, donc, où, selon elle, l’on se sent comme des «Hobbits», mais aussi à Niederanven – «dans une forêt typiquement luxembourgeoise, assez plate, sans chemin», explique Max Jacoby – et à Wahl, au nord du pays, au sein d’une jolie vallée avec un étang au milieu.
Un éparpillement qui n’inquiète pas l’équipe, bien qu’il implique un «vrai travail d’adaptation» et un sens de la flexibilité. Ce que confirme la metteur en scène : «Quand on joue dans de tels endroits, la logistique est plus complexe : il faut composer avec la météo, les gens qui passent… Mais les incidents font aussi partie de l’expérience. Tous les spectacles seront ainsi différents les uns des autres.» Même la pluie ne l’effraie pas : «De toute façon, les gens ne vont pas venir en robe de soirée!» Tenue appropriée exigée, donc.
Je n’ai pas encore douté de la réalité. Mais on ne répète que depuis deux semaines!
Denis Jousselin lui, a même ôté ses chaussures pour mieux apprécier l’environnement qu’il foule. Un bienheureux retour à la terre. Son personnage «a décidé de quitter le monde qu’il a créé lui-même». «Ça lui a échappé!», confie-t-il, avant de reprendre sa chanson d’anniversaire, tel un ermite un peu fou. Derrière sa divague et sa douce déambulation, on peut justement voir au loin la ville, toujours attirante et menaçante. Entre deux chuchotis, il avoue avoir lu le Goncourt 2020, L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, qui s’interroge «sur la véracité du monde et la fiction». «Il y a un incident qui vous fait dire : « est-ce que l’on vit quelque chose de réel ou pas? »». De son côté, comme Neo dans Matrix, Max Jacoby n’a pas encore «douté de la réalité». «Mais on ne répète que depuis deux semaines!», conclut-il dans un rire.
L’histoire
Dans quelle réalité vivons-nous? Un journaliste d’investigation pense avoir trouvé la réponse : le monde tel que nous le connaissons est en fait un trompe-l’œil! Décidant de fuir ce simulacre, il trouve refuge dans De Bësch (la forêt) – un reliquat de la vie d’antan – où il fait la rencontre de quelques personnages hauts en couleur, qui, comme lui, ont quitté le confort de leur béate ignorance. Peu à peu, ils et elles découvrent les raisons de l’esclavage virtuel de l’humanité et se voient forcé(es) de faire face à leur propre raison d’être…
Les dates
Kuelespaacher Bësch (Niederanven) / les 24, 25 et 26 septembre
Gaalgebierg (Belvaux) / les 1er, 2 et 3 octobre
Kierbëchel / Houbësch (Wahl) / les 8, 9 et 10 octobre
Grégroy Cimatti