Dernier rempart de la culture ouvert au public luxembourgeois, les musées échappent au reconfinement. De quoi rendre leurs équipes et le public heureux, mais le cadeau n’est-il pas empoisonné ?
Partiellement reconfiné depuis jeudi, le monde de la culture manifeste une fois de plus qu’il est le grand oublié de la crise sanitaire. Mais face aux théâtres, cinémas et salles de spectacles, les musées, eux, sont dans une situation délicate : ils restent ouverts, avec une activité réduite au strict minimum et une fréquentation qui suit le même chemin.
«C’est un peu mitigé, on est entre deux : le public peut venir, mais d’un autre côté, notre programmation est amputée d’une bonne partie», souligne le directeur du Casino Luxembourg, Kevin Muhlen. «On est content», c’est l’expression qui revient dans le milieu de l’art, mais on est surtout conscient que les dernières mesures ne l’ont pas non plus totalement épargné. Guy Thewes, directeur du Lëtzebuerg City Museum et de la Villa Vauban, précise : «Nous aussi, nous avons dû faire face à un certain nombre d’annulations, notamment des ateliers; des médiateurs ne peuvent plus exercer leur activité» à la suite de la réduction supplémentaire du nombre de personnes autorisées lors des visites, qui passe de dix personnes à… quatre, «guide inclus». «À dix, c’était gérable, mais pas idéal; maintenant, ça devient très limite dans ce qu’on peut proposer», poursuit Kevin Muhlen.
C’est une chance à double tranchant dont héritent les musées, lucides quant à leur situation. Kevin Muhlen : «Si on nous avait dit : “Vous devez fermer”, nous non plus, on ne l’aurait pas très bien pris.» Et bien que «le premier confinement (ait) été un accélérateur de la digitalisation» et que tous les lieux d’art proposent désormais des visites en ligne, «ça n’a rien à voir avec l’expérience de l’œuvre en réel», argumente Guy Thewes. Par ailleurs, «le musée, ajoute-t-il, ce n’est pas seulement une question d’expositions : c’est aussi un lieu social dans lequel il y a un échange et des activités qui ne sont plus possibles. On est chanceux car on peut encore travailler, mais il y a des missions qu’on ne peut plus remplir.»
Urgence et bricolage
Ce que l’on regrette au Lëtzebuerg City Museum et à la Villa Vauban trouve un écho au Casino, qui s’est toujours affirmé comme un lieu «basé sur la rencontre avec les artistes». «Quand on nous enlève ça, on maintient évidemment les expositions mais tout le côté vivant de l’exposition se perd. On peut développer nos propos et donner la parole aux artistes sur les plateformes en ligne, mais ça ne restera qu’une expérience à demi-mesure», déplore Kevin Muhlen.
Ce qui fait aussi tiquer, c’est la durée de ce semi-confinement : trois semaines, c’est trop peu pour envisager «une stratégie plus poussée» qui permette aux lieux d’exposition de s’organiser au mieux, mais c’est suffisamment long pour être un obstacle quand il s’agit de «gérer nos engagements face aux artistes et au public». C’est toute l’idée du «”rythme 2020”, celui de l’urgence et du bricolage», admet Kevin Muhlen, qui travaille d’arrache-pied avec ses équipes pour «reporter à janvier les évènements qui ne pourront pas se tenir, dans l’espoir qu’on pourra les réaliser à ce moment-là».
Le dernier rempart
Et malgré l’aide du ministère de la Culture, «très à l’écoute de nos demandes et de nos mécontentements» et «qui est là pour les artistes», le directeur du Casino remarque qu’«on risque de tomber dans un système en dents de scie : on prend des mesures drastiques pour faire baisser (le risque de contamination), on rouvre, le risque remonte, on ferme à nouveau… Le 15 décembre est une date un peu symbolique, avant les fêtes, histoire de dire qu’il ne faut pas plomber l’année 2020 encore plus qu’elle ne l’a déjà été, mais on sait que tout cela est incertain et que le système est fragile.»
La réalité est peut-être difficile à regarder en face, mais elle est là : ces trois prochaines semaines (si rien ne change), les musées du pays sont le dernier rempart d’une proposition culturelle réduite à néant dans les autres domaines. Pour Kevin Muhlen, «c’est peut-être un signal qui annonce que la culture continue d’être active malgré tout».
« Bon pour le moral »
Un signal de qualité, comme le prouvent les belles choses à voir en ce moment dans les musées de la capitale (lire encadré), mais qui soulève néanmoins des questions fondamentales : il n’est de secret pour personne que le musée a malgré tout du mal à se défaire de l’aura élitiste qu’on lui prête, certes parfois à tort, mais dans laquelle un fond de vérité existe tout de même. Il est en tout cas évident que ce n’est pas le lieu de culture privilégié par le grand public, Guy Thewes regrettant au passage la perte, avec ces nouvelles mesures, «des visites scolaires ou parascolaires et des touristes», qui ont toujours représenté une importante part des visiteurs.
Si le directeur des deux musées affirme en riant que «les musées sont bons pour le moral», on sait que faire changer l’opinion publique revient à déplacer des montagnes, et ça, ça ne se fait pas en trois semaines. Même si les musées privilégient pendant cette période l’angle local, en montrant plutôt leurs propres collections ou en mettant en avant l’art luxembourgeois – Guy Thewes se félicite par ailleurs d’avoir enrichi ses collections depuis la première phase de la pandémie et espère «profiter de ce capital dès l’année prochaine» – et même s’il s’agit du «dernier endroit qui offre un peu d’espoir», il est encore difficile de juger de cette décision de garder ces lieux ouverts. En attendant, Guy Thewes rappelle que «tant que l’on empêche aux cinémas et aux théâtres de tenir leur rôle, on garde la boutique!».
Valentin Maniglia
Les expositions à voir à Luxembourg
MUDAM
«Les 25 ans de la collection Mudam»
En 2021, le Mudam fêtera son 15e anniversaire. À cette occasion, le musée propose de (re)découvrir une sélection de ses acquisitions, qui ont commencé dix ans avant son ouverture, en 1996. Une quarantaine d’œuvres, depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui, forment un panorama qui met en avant des formes, des matériaux et des techniques qui reflètent la diversité de l’art contemporain.
Jusqu’au 3 avril 2022.
MNHA
«Beyond the Medici – The Haukohl Family Collection»
L’art baroque florentin du XVIIe siècle, jusqu’au début du siècle suivant, est encore trop méconnu des amateurs et historiens de l’art. Le MNHA propose d’en découvrir ses maîtres, de la famille Dandini (trois générations de peintres qui traversent le siècle) à Onorio Marinari, avec l’impressionnante collection de la famille de collectionneurs américains Haukohl, auxquelles s’ajoutent quelques œuvres de la collection du MNHA exposées pour la première fois.
Jusqu’au 21 février 2021.
MUSÉE DRÄI EECHELEN
Du Moyen Âge au début du XXe siècle, l’histoire du Luxembourg est racontée au musée Dräi Eechelen à travers le passé même de la forteresse dans laquelle est montrée l’exposition. La collection contient environ 600 documents et objets originaux qui retracent plus de cinq siècles d’histoire.
Exposition permanente.
VILLA VAUBAN
«Charles Kohl (1929-2016)»
L’un des sculpteurs les plus éminents du Grand-Duché est mis à l’honneur à la Villa Vauban : Charles Kohl, double lauréat du prix Grand-Duc-Adolphe. Sculptures, dessins, esquisses et peintures sont exposées, retraçant les grandes périodes de la carrière d’un artiste qui s’est démarqué avec ses représentations de corps disproportionnés et de têtes sans visage.
Jusqu’au 17 janvier 2021.
CASINO LUXEMBOURG
«L’homme gris»
Au Casino, une exposition interroge les représentations du diable dans l’art contemporain. Une figure de tous les fantasmes qui a muté à travers les âges pour devenir aujourd’hui bien plus qu’une terrifiante représentation picturale, et qui soulève ici d’éminentes questions morales, politiques, philosophiques ou esthétiques.
Jusqu’au 31 janvier.
LËTZEBUERG CITY MUSEUM
«Toto, l’expo»
D’après un projet lancé au printemps dernier, en plein confinement (premier du nom), «Toto, l’expo» donne la parole aux plus jeunes, qui s’expriment à leur façon sur la pandémie, dans un discours moins innocent qu’il n’y paraît. Encadrés par des artistes luxembourgeois, les enfants laissent libre cours à leurs réflexions à travers divers moyens d’expression, pour laisser la vérité sortir de leur bouche… et de leurs crayons.
Jusqu’au 13 décembre.
Le MNHN a exceptionnellement fermé ses portes jusqu’au 1er décembre, et précise que la réouverture se fera «en fonction de l’évolution de la situation sanitaire».
V. M.