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Par petites touches, les hommes se mettent au maquillage


La communauté LGBT est bien à l'avant-garde de cette évolution, mais cette dernière commence à dépasser son cadre initial. (illustration AFP)

Fond de teint, gloss et palette de maquillage : les cosmétiques envahissent les étagères de plus en plus d’hommes. Couvrant, coloré, à paillettes ou plus discret comme l’anti-cernes, le maquillage élargit le champ des possibles masculins et suscite l’intérêt des marques.

Chez Chanel, la collection « BOY » – un fond de teint, un baume à lèvres et un stylo pour sourcils – arrive dans les magasins français de la marque courant janvier. Rejoignant Givenchy, Tom Ford, Jean-Paul Gaultier, qui se sont déjà lancés dans l’aventure avec des produits similaires. Cette révolution de salles de bains, médiatisée par des YouTubeurs à succès comme Bilal Hassani, reste à relativiser: selon l’agence Mintel (études de marchés), seuls 5% des nouveaux produits de beauté et soins lancés dans le monde sont destinés aux hommes.

Mais si sortir maquillé dans la rue n’est pas encore courant, pour Georges Vigarello, historien spécialiste des représentations et pratiques corporelles, l’émergence du maquillage chez les hommes participe d’un « requestionnement du genre » bien engagé.

« Pionniers »

« J’ai l’impression d’incarner quelque chose de différent », raconte Arthur Lefebvre. Étudiant de 19 ans en médiation culturelle à la Sorbonne, il a commencé à se maquiller à son arrivée à Paris en septembre 2018, au départ pour embrasser les « codes queer ». « On n’a pas peur de dépasser, d’être hors normes, » avance de son côté Valentin Wimmer, étudiant de 18 ans en licence d’anglais à Strasbourg, qui se revendique gay lui aussi.

« Ceux qui se lancent dans ces pratiques ont le sentiment d’être un peu des pionniers, » poursuit Georges Vigarello. La communauté LGBT est bien à l’avant-garde de cette évolution, mais cette dernière commence à dépasser son cadre initial. L’affirmation progressive de la femme dans l’espace public, dans le domaine du sport ou le monde du travail, fait que « le statut masculin se déplace » vers « un certain nombre d’autres qualités », comme « la sensibilité, la douceur ou l’esthétique », juge Georges Vigarello. Les codes de la virilité à l’ancienne « dans une certaine mesure, n’ont plus de sens ».

Aux États-Unis, des YouTubeurs maquillage homme comme Manny Mua ou Jeffreestar totalisent déjà plus de dix millions d’abonnés et lancent même leurs propres marques de cosmétiques. En France, les YouTubeurs beauté sont encore peu nombreux.

Opportunité commerciale

Mais depuis le début des années 2010, les précurseurs – Richaard2609, Maxime MakeupPro ou Beautyction, entre autres – sont déjà suivis par plusieurs centaines de milliers d’internautes. Les marques de cosmétiques ont d’ailleurs flairé la bonne affaire, en choisissant de faire de certains de ces influenceurs leurs ambassadeurs. Richaard2609 est ainsi devenu un des visages de Sephora sur les réseaux sociaux français. Sur sa chaîne, il propose des tutoriels et des tests de produits. Au Sephora des Champs-Élysées, où Richard a travaillé, il est « très courant » que des hommes demandent du maquillage, explique-t-on. Le magasin n’a pas de rayon de maquillage masculin mais référencera la collection « Mister » de Givenchy à partir du 21 janvier.

Sephora est souvent cité par les jeunes hommes, notamment pour l’aspect inclusif de certaines marques référencées. Valentin Wimmer y achète sa base, quelques crèmes, du fond de teint et de la poudre. Idem pour Antoine Dubreuilh, 24 ans, conseiller en image dans une boutique de prêt-à-porter à Paris. « Typé viril », avec un « côté gamer », ce jeune homme barbu alterne entre des produits aux « teintes très douces » et plus voyantes selon les occasions.

Le maquillage deviendrait-il un produit unisexe ? « On n’en est pas là, » juge la sociologue Marion Braizaz. Il reste un « attachement » aux pratiques esthétiques traditionnelles de genre, selon lesquelles « les uns et les autres ont à cœur de se distinguer du travail esthétique de l’autre sexe ». Cette « résistance » traverse les classes et les orientations sexuelles, souligne la sociologue. La manière dont les individus jonglent avec ces codes esthétiques laisse pourtant présager d’une « marge de manœuvre » que le maquillage masculin pourrait bien investir plus largement à l’avenir.

LQ/AFP