Vendredi prochain, Tardi et Dominique Grange présenteront sur le parvis de l’abbaye de Neumünster leur spectacle Putain de guerre ! mêlant chansons, lectures et dessins. 100% OMNI!
Comme c’était déjà le cas pour la BD sortie en 2008/2009, le titre du spectacle de Tardi et Dominique Grange, Putain de guerre!, indique d’entrée de jeu son côté engagé et antimilitariste. Un spectacle que Neimënster et l’Institut Pierre-Werner présentent dans le cadre du festival OMNI (Objets musicaux non identifiés). Discussion téléphonique avec les deux artistes.
Quand et comment est né ce spectacle Putain de guerre!?
Tardi : Putain de guerre! est un projet antimilitariste, pacifiste, contre les massacres au profit des industriels et des marchands d’armes, etc. L’expression « putain de guerre! » apparaît assez souvent dans les correspondances de soldats de la Grande Guerre. Des correspondances qui, on ne sait pas comment, ont franchi la censure. Je traite de la Première Guerre mondiale depuis longtemps dans mes BD, le spectacle, lui, a commencé à germer il y a à peu près trois ou quatre ans. À ce moment-là, Dominique (NDLR : Grange) était en train d’enregistrer un CD de chansons de 14-18, et on avait décidé d’inclure des textes de la BD Putain de guerre! entre les chansons. Comme on ne savait pas lesquels choisir, j’ai enregistré la totalité des deux albums. Après, c’est Dominique qui a insisté pour que je les lise également sur scène. De fil en aiguille, on a ajouté une projection, de deux musiciens on est passés à cinq, etc.
Il y a donc des chansons, des lectures de textes et des projections de dessins. Comment les trois se marient dans la pratique?
Tardi : C’est un concert avec des musiciens sur scène, Dominique qui chante, et moi, assis, sur la droite de la scène, qui lis mes textes. C’est donc chanson et accompagnement; je lis; chanson et accompagnement; je lis, etc. Le tout sous les projections d’images tirées de la BD.
Mais aussi des inédits, non?
Si. Dans l’album, il y a certains sujets qui n’ont été traités que rapidement, comme la partie italienne, par exemple, j’ai donc ajouté quelques dessins inédits sur ça, parce qu’il y a une chanson italienne assez longue sur les massacres des Alpini dans les Abruzzes. Après, le spectacle subit des transformations en permanence. On ajoute ici, on enlève là, on change là-bas.
Vu le sujet, on imagine qu’il s’agit de chansons et de textes pas faciles. Ça ne doit pas être très gai. Comment réagit le public?
Tardi : Quelquefois les gens réagissent aux textes. On les entend protester ou crier. Et à la fin, souvent, des personnes viennent nous voir, parfois en pleurs. Bref, les réactions sont bonnes. Les gens sont très touchés.
Une question pour Dominique. Qu’est-ce que ça fait d’interpréter ses propres chansons à côté de celles de Faure, Ferré, Aragon, Vian ou encore celles écrites par des poilus eux-mêmes?
Dominique Grange : Je ne chante plus Le Déserteur de Vian. C’est une chanson magnifique et universelle sur la désertion, mais elle était anachronique. Et puis, on ne parle pas tant de désertion dans le spectacle, mais plutôt des fusillés pour l’exemple, des révoltes dans les tranchées. Pour revenir à la question, j’ai l’habitude d’interpréter mes chansons. Je suis auteur-compositeur depuis longtemps.
Et là, je trouve qu’il y a une grande homogénéité entre les différents titres. D’autant que Tardi a fait des dessins aussi en fonction des chansons et qu’on retrouve les noms de certains des personnages de sa BD dans les chansons. Bref, tout est très entremêlé, cohérent et homogène. Après, il faut aussi parler de La Chanson de Craonne, écrite au front par des poilus anonymes, qui était interdite au front – on pouvait être passé par les armes si on la chantait! Et là on vient d’apprendre que pour les cérémonies de commémoration de la bataille de la Somme, elle a été interdite encore une fois. Cent ans après, la mémoire des poilus est trahie une nouvelle fois! C’est intolérable! Ça prouve à quel point cette chanson est vraie, écrite avec la chair et les tripes. On va donc la chanter encore plus fort pendant le spectacle, et on va se faire un plaisir d’expliquer ce qui vient de se passer.
Vous venez dans le cadre du festival OMNI, c’est un concept qui vous parle?
Dominique Grange : Ah ben, écoutez, je ne savais pas du tout. C’est parfaitement logique par rapport à ce qu’on fait, mais je suis sidérée qu’on ne nous l’ait jamais mentionné.
Une question pour Tardi maintenant. Depuis deux ans, les albums BD en lien avec la Première Guerre mondiale sont légion, mais vous, vous n’avez pas attendu ce centenaire pour en parler. Comment cet évènement, certes tragique, a-t-il pris une telle place dans votre œuvre et, on l’imagine, dans votre vie?
Tardi : J’ai commencé à m’intéresser à ça il y a une quarantaine d’années. Le point de départ, c’est ma grand-mère paternelle qui, quand j’étais môme, me racontait la guerre de mon grand-père. Ça m’impressionnait beaucoup. Mon autre grand-père est mort dans les tranchées à l’âge de 22 ans. Mais pendant longtemps, je n’avais pas vu d’images de tout ça. C’est beaucoup plus tard que j’ai commencé à en voir, et j’ai toujours plaqué ce grand-père sur les soldats. Je ne comprenais pas comment ce type calme qui allait me chercher à l’école avait pu se trouver dans ces tranchées avec un uniforme, un fusil et avait dû tirer sur des personnes qu’il ne connaissait pas.
Cet intérêt vous a conduit à en apprendre beaucoup sur le sujet.
Ce conflit explique la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Avec le temps, il y a eu de multiples lectures sur le sujet, mais, quand j’ai commencé, il n’y avait pas grand-chose au niveau iconographique. Ce n’est que récemment que beaucoup de livres sont sortis sur le sujet. Je me suis donc documenté par tous les moyens possibles et imaginables, je suis allé sur les champs de bataille pour voir par moi-même à quoi ça ressemblait et essayer mentalement de restituer tout ça. Tout en sachant que je resterais toujours bien en deçà de la vérité. Ce qu’ont vécu les poilus dans les tranchées est inimaginable! J’ai donc toujours eu envie de rendre compte avec le dessin de cette période. C’est le premier conflit mondial, il y a l’intervention des Américains, la révolution d’Octobre en Russie, le monde va se partager en deux, les Anglais et les Français vont tracer des frontières à la règle au Moyen-Orient sur des cartes d’état-major, qui entraînent les problèmes qu’on connaît aujourd’hui.
Et puis, à la fin de la guerre, le traité de Versailles, qui immédiatement va enclencher la Seconde Guerre mondiale, etc. Bref, on n’en est toujours pas sortis. Dès les années 80, j’ai donc publié C’était la guerre des tranchées. Et beaucoup d’autres albums sur cette guerre ont suivi. Et là, au mois d’octobre va sortir, toujours sur le même sujet, Le Dernier Assaut, dédié aux animaux – chevaux, chiens, mules, pigeons… – morts pour la France. Je pense qu’après ça, même si le sujet ne se clôt jamais, j’en aurai fini, moi, avec cette thématique. Enfin, j’espère, car ça finit par être un peu éprouvant. J’ai essayé de comprendre. Mais on ne peut pas!
Entretien réaliste par Pablo Chimienti