La crise sanitaire a provoqué un violent coup d’arrêt dans le monde du spectacle. Derrière ses portes closes, la Rockhal fourmille de projets et ne se laisse pas abattre par l’incertitude.
La Rockhal est entrée dans la vie d’Olivier Toth, il y a 15 ans. Le Covid-19 l’en arrache physiquement et le directeur attend le prochain concert avec impatience. Soixante-quatre spectacles étaient prévus entre la mi-mars et le mois de juillet ainsi que 23 évènements au Rocklab. Tous ont dû être repoussés. Avec son équipe, le directeur ne chôme pas et prépare le moment où la salle pourra à nouveau accueillir du public dans les meilleures conditions possibles. «Nous nous posons énormément de questions», indique-t-il avant de répondre aux miennes.
Quelle est la vie de la Rockhal en période de confinement sans concerts à organiser ?
La programmation du printemps et de l’été a été reportée à l’automne ou à l’an prochain. Depuis deux ou trois semaines, l’équipe est entrée dans une nouvelle phase qui était de se demander s’il fallait fixer une nouvelle date de passage aux artistes ou s’il fallait annuler leur venue parce qu’il ne restait plus beaucoup de dates disponibles entre la rentrée de septembre et les fêtes de Noël. Il a été décidé de repousser les demandes pour des concerts à grande capacité directement à l’année prochaine plutôt que de repousser les dates indéfiniment.
Un redémarrage maintenant, comme l’ont annoncé les Espagnols, est prématuré. Un artiste qui est habitué à vendre 6 000 ou 8 000 billets par soir n’y parviendra pas. Organiser une tournée dans ces conditions n’est pas faisable ni pour l’artiste ni pour les organisateurs de concerts qui ne pourront pas rentrer dans leurs frais. Cela coûterait plus cher d’ouvrir nos portes que de les laisser fermées. Pour le moment, nous sommes dans une incertitude permanente.
Un concert, c’est beaucoup de monde dans un même espace qui danse, s’amuse, se touche, transpire… soit exactement le contraire de ce qui est préconisé pour le moment
De l’autre côté, il y a les fans de musique, ceux qui achètent les billets. Nous sommes en contact quotidien avec eux pour répondre à leurs questions et leur communiquer les concerts reportés.
Et puis, il y a l’équipe qui entoure les artistes et accueille le public. Elle travaille à la possibilité d’une reprise et de ses conditions dans nos différentes salles. Pour cela, elle s’inspire des réflexions menées à l’étranger notamment à travers des contacts avec des professionnels ou des confrères regroupés au sein de Liveurope ou de l’European Arenas Association. Le but est de comparer les manières de procéder pour dégager celles qui nous seraient les plus profitables. Nous devons également nous attendre à ce que les habitudes des gens aient changé après la crise et leurs attentes aussi. Nous ne doutons pas qu’ils aient une énorme envie de revenir à des concerts. La question est quand et comment.
Quelles sont les pistes et scénarios possibles pour un concert post Covid-19 ?
Je ne peux que me baser sur les hypothèses en circulation et sur ce qui est préparé à l’étranger. Ces concerts seraient plutôt assis dans le respect des distances de sécurité. Se pose la question du port du masque, de la répartition des flux de public et de leurs déplacements au sein de la salle de concert, ainsi que de l’équipement sanitaire à mettre en place. Reste la question des capacités et de la manière de nous y adapter. Mais il est encore un peu tôt pour y répondre pour notre secteur, contrairement aux plus petites salles de spectacle ou aux théâtres, par exemple.
Pour le moment, il n’existe pas encore de situations comparables aux capacités de la Rockhal dont nous pourrions véritablement nous inspirer. Des simulations ont été réalisées dans le sport. On y voit des stades ou chaque cinquième siège seulement est occupé. S’il fallait reporter ces simulations aux salles de concert, les capacités connaîtraient une baisse dramatique.
Il est impossible de rentrer dans ses frais avec une telle réduction des capacités.
Ce n’est pas faisable. Les offres négociées avec les artistes sont basées sur une certaine capacité de public. Si les artistes visent des grandes salles avec des grandes capacités, cela ne fonctionnera pas. À moins de renégocier l’offre de départ. En ce moment, les discussions sont ouvertes et cela se passe de manière positive. Les artistes ont eux aussi intérêt à ce que cela reparte. Ils ont compris que nous sommes tous dans le même bateau et que nous ne pouvons gagner que tous ensemble.
Reste l’inconnue de la date de la reprise et ses conditions. Un concert, c’est beaucoup de monde dans un même espace qui danse, s’amuse, se touche, transpire… soit exactement le contraire de ce qui est préconisé pour le moment.
Avez-vous réfléchi à des alternatives, comme présenter des concerts en streaming par exemple ?
Le sujet des concerts en streaming a de nombreuses facettes locales et internationales. À commencer par la question des droits sur ces concerts. En général, ils appartiennent au management ou au label de l’artiste et les revenus de ces droits sont donnés aux personnes qui apportent une contribution. C’est rarement le cas d’un organisateur de concerts.
La Rockhal est aussi une salle de concert. Une option pourrait être de profiter que des artistes viennent répéter leur tournée pour filmer un concert. Mais la Rockhal est-elle suffisamment intéressante pour l’artiste du point de vue de la proximité ? Un artiste, mettons français, pourra-t-il franchir la frontière pour venir chez nous ou ne préfèrera-t-il pas aller enregistrer à l’Olympia ou à Paris-Bercy ? N’y a-t-il pas des salles plus accessibles d’un point de vue géographique et dont la réputation apporte un attrait supplémentaire ? À savoir qu’en ce moment, toutes les salles de spectacle ont énormément de dates libres et peuvent être louées pour un très bon prix. L’idée est bonne, mais la mettre en place est complexe parce que des rapports de force existent. Sans compter un certain nombre de considérations quant à la logistique.
À la base, l’idée est intéressante et nous nous la sommes posée. Si des opportunités venaient à se présenter, nous serions heureux de les considérer. Le streaming est donc une option. Reste à savoir quand les artistes pourront à nouveau traverser les frontières et organiser de petites tournées. Dans ce contexte, la possibilité d’un enregistrement en streaming pourrait être réaliste.
Le Rocklab et les salles de répétition sont fermés. N’y a-t-il pas de réouverture en vue maintenant qu’il est autorisé de se trouver à six dans une pièce ?
Toutes les activités du Rocklab sont à l’arrêt. Nous avons des idées pour les compléter et y travaillons. Il y a notamment des projets pédagogiques. Nous attendons le bon élément déclencheur pour les annoncer. Il ne s’agit pas de projets réalisés spécialement dans le but de s’adapter au contexte actuel. Nous avions besoin d’un certain niveau de liberté de circulation pour pouvoir continuer de les développer.
Quant aux salles de répétition, le problème des distances se pose. Un artiste seul pourrait en profiter mais au-delà, cela devient compliqué. C’est pourquoi nous avons décidé de ne pas les mettre à la disposition des musiciens pour le moment. L’équipe et moi attendons avec impatience de pouvoir rouvrir les portes au public.
Le festival Sonic Visions qui a lieu chaque année en novembre aura-t-il lieu cette année ?
Non, il a été annulé. Trop d’incertitudes. Rendez-vous est donné en 2021. Quand ? Nous ne le savons pas encore. Il est probable que les dates soient avancées.
Entretien avec Sophie Kieffer