Dans sa ville contrôlée par les jihadistes, Fayçal était obligé de cacher ses croquis et ses peintures, mais aujourd’hui réfugié dans un camp dans le nord de la Syrie, il peut enfin renouer avec sa passion.
Après avoir fui sa maison au nord-est de Raqqa, lui et sa famille ont trouvé refuge il y a trois mois dans un camp situé au nord de cette ville cible d’une vaste offensive de combattants kurdes et arabes pour en déloger Daech (EI). Faute de matériel pour peindre dans le camp d’Ain Issa, Fayçal, 47 ans, a fait avec les moyens du bord : en attachant des fils au bout d’un morceau de bois pour faire un pinceau ou rassemblant des mégots de cigarettes pour s’en servir de fusain. L’homme, qui dit dessiner depuis 15 ans, explique avoir dû renoncer à sa passion après la capture de Raqqa et de ses environs par l’EI en 2014.
L’un des nombreux interdits de Daech
« Quand Daech est arrivé, je n’osais plus dessiner », confie-t-il. « J’ai caché tous mes dessins au dessus du placard et je les ai recouverts de plein de choses. Ils considéraient le dessin comme haram (illicite) », raconte l’homme à la silhouette fine et au visage tanné. Faycal fait partie des dizaines de milliers de Syriens déplacés par les combats depuis le lancement de l’offensive sur Raqqa l’an passé. Il a fui sa maison avec sa femme Sinaa et sept de ses huit enfants. Il refuse de divulguer son nom et celui de son village car il a dû laisser derrière lui l’un de ses fils, emprisonné par Daech. L’homme ne souhaite pas donner de détails sur l’arrestation, se contentant de dire que son fils était accusé de collaborer avec le gouvernement syrien.
Tout en sortant les croquis de son carton à dessin, Faycal tente de calmer sa plus jeune fille qui souffre d’un mal de dent qui n’a pu être soigné dans le camp. Un jour, un employé du camp a vu ses dessins, lui a apporté du papier et des crayons et lui a demandé de faire le portrait de son fils, un combattant kurde. Sur une grande feuille blanche, Fayçal a dessiné un jeune homme vêtu d’un uniforme militaire flanqué du badge jaune des Unités de protection du peuple kurde, fer de lance de l’offensive de Raqqa.
Dans sa pochette, Fayçal cache d’autres portraits, notamment ceux de divas de la chanson arabe comme la libanaise Fairouz ou l’égyptienne Oum Kalthoum. « Là, c’est Warda l’Algérienne, j’adore l’écouter », dit-il. Mais dans le camp, les déplacés sont dépourvus de tout. « Pendant le mois du ramadan, ils ne nous ont pas donné autant de nourriture que ce qu’on espérait. Personne ne nous aide. Nous n’avons rien si ce n’est les matelas faits en éponge », lâche l’artiste. Un de ses croquis montre une famille devant une tente : un vieil homme est penché sur sa canne et les autres assis par terre.
La vie sous les jihadistes
Mais ses dessins les plus douloureux sont certainement ceux dépeignant la vie sous les jihadistes et surtout les épreuves que son fils a pu endurer en détention. Sur l’un d’eux, on voit deux jeunes hommes en prison, l’un a la tête contre un mur en béton et l’autre, assis, la tête entre les genoux. « J’imagine que c’est la situation de mon fils en prison », souffle-t-il. En voyant cette image, sa femme Sinaa commence à pleurer. « J’aime tous ses dessins, mais celui qui m’est le plus cher est celui de mon fils ».
Dans sa tente, Faycal apporte les dernières touches à un dessin représentant une scène horrible dont il dit avoir été témoin à Raqqa, où il s’était rendu pour un rendez-vous médical. Il se souvient avoir vu des jihadistes tirer d’une voiture un homme menotté et les yeux bandés, lui enfonçant un morceau de tissu dans la bouche pour étouffer ses cris. Une fois entré dans le cabinet du docteur, il a entendu quatre coups de feu.
Le Quotidien/AFP