Du coucher du soleil jusqu’au petit matin pour certains, ils sont plusieurs centaines, de tous âges et tout horizon, à transformer en agora l’emblématique la place de la République à Paris. Qui sont ces noctambules de « Nuit debout » en quête d’une nouvelle démocratie ?
MARCUS
Marcus n’a que 18 ans, mais un goût prononcé pour ces luttes. « On est dans une guerre sociale », estime sûr de lui le jeune homme. « Cette loi travail est une attaque sur le monde du travail entier. C’est la continuité d’une politique menée depuis des années, par une droite et une gauche confondues, avec les Conti, les Goodyear, Air France… », égrène l’étudiant, cheveux en bataille, chemise de bûcheron rouge sur le dos, portée sur un jean retroussé. « La jeunesse est désespérée et elle s’en fiche un peu de ce qui peut lui arriver », pense-t-il, prêt à tout « pour changer le système ».
FANNY
Fanny est une aficionada de la Nuit debout. Rencontrée lundi, cette chargée de production dans l’audiovisuel était passée tous les soirs place de la République parce qu’elle s’y sentait « à sa place ». Alors qu’un homme appelle à un rassemblement pour empêcher les sénateurs de voter une loi qui « autoriserait les CRS à tuer les gens », Fanny sourit aux discours « un peu manichéens » parfois prononcés. Mais « c’est comme ça que les gens se réapproprient la parole ». « C’est un peu comme une psychothérapie énorme dans laquelle les gens parlent et osent dire ce qu’ils pensent », affirme cette quadragénaire menue, qui « vient rêver tous les jours » pour « croire à un monde plus juste ».
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MICHEL
Il a 62 ans, tout juste arrivé de Lille jeudi. Quand il prend le micro pour exhorter les jeunes à « prendre leur avenir en main et virer les vieux cons », Michel Leprince exalte la foule. « Ce mouvement, il y a longtemps que j’en fais partie », déclare cet ancien militant du Parti de Gauche, « CGT du Nord ». L’ex-dessinateur en génie climatique regrette toutefois que ce soit « beaucoup plus doux que mai 68. C’est très respectueux… ». Il n’aura parlé que 2 minutes mais dans l’assistance, plusieurs se disent « touchés par le syndicaliste lillois ».
LESLIE
Leslie prépare son agrégation d’espagnol à la fac de Paris III. Troisième nuit pour la jeune femme de 25 ans, rouge à lèvres et turban de laine rose. Elle ne vient que de 20H à 23H mais jeudi, elle tente la totale. Elle aime cette « appropriation de l’espace public »: « Le côté agora, la vie, le débat, la musique, le fait que les gens mangent, que les enfants participent, ça me séduit ». Elle qui reconnaît que « les discours sont toujours les mêmes, la même rhétorique », se dit attirée par ce « mouvement par le bas: il n’y pas d’appareil politique ou syndical, même s’ils peuvent être là en soutien logistique… »
TRISTAN
Les yeux aussi noirs que ses cheveux de jais, l’étudiant en BD ne rechigne pas, du haut de ses 21 ans, à parler de son engagement dans « la Nuit Debout, parce que la « convergence des luttes, ça existe depuis toujours ». Fils d’un « gros soixante-huitard », des parents « anciens cocos », Tristan ne saurait vraiment expliquer sa présence : « C’est dans les tripes, c’est ma conscience qui me dit de venir ». Quant à ses espoirs… « je ne suis pas là pour faire la révolution demain ni faire cramer l’Elysée, je ne crois pas à l’amélioration concrète des choses, je ne le verrai pas forcément de mon vivant », mais, conclut-il gravement, « c’est un éveil des consciences et je veux en être ».
ALEX
Alex est DJ, engagé à gauche, et l’un des nombreux organisateurs de la Nuit debout parisienne. Un mouvement « sans chef », qui se construit « démocratiquement dans l’urgence », insiste-t-il. La référence à l’Espagne est explicite. Pour Alex, il s’agit d' »un exemple assez parlant » de ce vers quoi tend le mouvement. « Là-bas, l’occupation de places a débouché sur une transformation de la vie sociale et politique. Qu’on soit ou non d’accord avec Podemos, l’Espagne n’est plus la même aujourd’hui qu’en 2011 », affirme-t-il. En France, observe Alex, il y a « de plus en plus d’actions qui se montent, des réseaux militants, des espaces qui se créent ». « Un programme politique » se profile ici aussi. Pour « un vrai changement ».
Le Quotidien / AFP