Redoutés par les éditeurs de sites internet, inquiets de voir leur principale source de revenus leur échapper, les logiciels antipublicité, déjà plébiscités par des millions d’internautes dans le monde, débarquent maintenant sur mobile, risquant de freiner l’un des principaux moteurs du marché de la pub numérique.
Le terrain de jeu des bloqueurs de publicité (« ad-block ») ne cesse de s’élargir. Coup de tonnerre dans l’écosystème du web, le géant américain Apple a décidé d’intégrer au sein de son nouveau système d’exploitation iOS9, dévoilé début septembre, une fonctionnalité permettant au mobinaute de stopper le flux incessant de publicités durant sa navigation sur Safari.
Concrètement, les réclames n’apparaissent plus à l’écran, la navigation est plus rapide, et les données personnelles de l’utilisateur ne sont plus récoltées notamment à des fins commerciales. Les millions de possesseurs français d’iPhone et d’iPad ont plébiscité dès sa sortie l’ad-block Crystal, qui a caracolé pendant une semaine en tête des applis les plus téléchargées, malgré son caractère payant.
Une dizaine d’autres ont essaimé depuis, espérant surfer sur cette tendance. Pis, certaines comme Been Choice ambitionnent d’aller plus loin, en bloquant aussi les publicités diffusées à l’intérieur des applications mobile.
« Les gens sont prêts à payer pour stopper la publicité, cela donne une idée du ras-le-bol des utilisateurs », explique Hicham Berrada, directeur général France de Teads, spécialiste des publicités vidéo adaptées pour les groupes de médias premium. Les professionnels du secteur craignent que la décision d’Apple ne légitime une pratique perçue encore comme marginale et réservée aux seuls « geeks », alors que le modèle économique de la marque à la pomme « n’est absolument pas dépendant » de la publicité, contrairement à ses concurrents Facebook ou Google.
« C’est dangereux parce que cela démocratise l’adblocking, et on sait à quel point Apple a la capacité de proposer des choses simples (à l’utilisateur), à savoir télécharger une application et appuyer sur un bouton », renchérit M. Berrada qui n’écarte pas « un raz-de-marée » alors que le mobile représentera « très bientôt 50% » de son activité.
« Cela exclut tout de même pour l’instant les millions de gens qui sont sur Androïd (système d’exploitation mobile de Google, ndlr), donc on peut relativiser », tient à tempérer Mohamed Laaouissi, directeur Europe du Sud de la plateforme programmatique d’achat d’espaces publicitaire DataXu, pour qui « les éditeurs » seront les plus touchés.
Pour les producteurs de contenus, le préjudice est en effet déjà très lourd. Selon une étude publiée en août dernier par Adobe et PageFair, les ad-blocks pourrait faire perdre aux sites web 21,8 milliards de dollars cette année à l’échelle mondiale, et plus de 41 milliards en 2016. Le nombre d’internautes utilisant ce type de logiciels a bondi de 41% sur les douze derniers mois pour atteindre 198 millions.
Alors que le mobile représente l’un des leviers les plus dynamiques d’un marché de la publicité numérique devant croître au niveau mondial de 15,7% en 2015, selon l’agence Carat, les professionnels craignent de voir cette tendance ralentir. « On était dans une configuration extrêmement favorable parce que le mobile ouvre énormément de fonctionnalités (géolocalisation,…) que ne permet pas le web », regrette Sophie Poncin, présidente du Syndicat des régies internet (SRI), craignant un impact « lourd » sur ce « terrain qui était encore vierge ».
« Si elle n’est pas cassée, la dynamique peut être dans l’immédiat très limitée », estime Pierre-Jean Bozo, directeur général de l’Union des annonceurs (UDA), qui prône des discussions avec l’ensemble de la profession pour définir des formats publicitaires moins intrusifs. « Penser et définir des règles communes c’est bien, mais les appliquer, c’est mieux! », espère-t-il.
Désirant « secouer le cocotier » d’un écosystème trop longtemps spectateur, Teads vient de publier un manifeste préconisant 10 règles pour une publicité plus acceptable comme « bannir les pop-ups » ou favoriser les vidéos « skippables (évitable) ». Une vidéo imaginant « Un monde sans pub » afin de sensibiliser les utilisateurs à l’importance des réclames pour garantir un web gratuit a également été mise en ligne. « On n’a jamais pris le temps d’expliquer à un internaute comment tout cela (marche). Autant sur la télévision, les gens ont parfaitement compris que la publicité finance les chaînes privées », autant sur internet ce n’est pas forcément le cas, déplore Mme Poncin.
AFP / S.A.