Dans un des quartiers branchés de Lagos, mégalopole effervescente considérée comme la capitale culturelle africaine, la première édition de la foire du cinéma et de la musique (TEFFEST) du Nigeria, qui s’est tenue fin novembre, ne manquait pas de paillettes.
Mais derrière les faux cils, les costumes sur mesure et les dizaines de millions de fans sur Instagram, la réalité du secteur est beaucoup moins glamour qu’il n’y paraît: des salaires de misère, aucune protection sociale, des lois sur la propriété intellectuelle pas ou peu appliquées et très peu de canaux de diffusion. La culture représentait 1,4% du PIB nigérian (FMI, 2016) mais cela pourrait être bien plus, dans un pays qui compte près de 200 millions d’habitants, d’autant qu’elle s’exporte sur tout le continent africain et à travers la diaspora. Les chanteurs de l’Afropop nigériane, tels que Burna Boy, Wizkid, Davido,… multiplient les tournées, leurs titres passent en boucles sur toutes les radios et les chaînes spécialisées; Nollywood est considéré comme la deuxième industrie du cinéma au monde, avec 2.500 films produits par an.
Et pourtant, le secteur des médias et du divertissement a généré dans son ensemble 4,5 milliards de dollars seulement en 2018 (Africa Entertainment and Media Outlook 2019-2023, PwC). C’est très peu, comparé à l’Afrique du Sud (9,1 milliards de dollars en 2018), qui produit moins, s’exporte beaucoup moins et possède un marché national quatre fois moins important. Son secteur est toutefois beaucoup mieux organisé, avec des paiements de droits d’auteur pour les artistes, des studios pour les tournages, des scènes de concerts dynamiques, des plateformes digitales d’écoute, davantage de cinémas…: autant de revenus qui demandent des investissements et un cadre de protection juridique qui n’existent quasiment pas au Nigeria.
Netflix et Canal + tentent de séduire les stars de Nollywood
« Au Nigeria, le divertissement s’est construit sans aucune structure », explique Omotola Jalade-Ekeinde, fondatrice de TEFFEST et actrice aux 4,5 millions d’abonnés sur Instagram. « On a créé, inventé, produit et, pendant des décennies, personne ne nous a pris au sérieux. » Désormais les choses changent, les grandes majors commencent à s’intéresser à l’afropop, Netflix et Canal + tentent de séduire les stars de Nollywood. Mais face à un secteur totalement désorganisé, il est parfois difficile d’investir. « Le secteur privé essaie désormais de comprendre qui nous sommes, et comment nous fonctionnons », confie Omotola Jalade-Ekeinde, alias « Omo Sexy », 25 ans de carrière et pas une seule ride.
La « reine de Nollywood » a imaginé cette foire du secteur du divertissement comme une plate-forme où acteurs, chanteurs, producteurs, assureurs, avocats et agents de stars peuvent se rencontrer et s’organiser ensemble. « L’heure n’est pas aux célébrations », s’emporte Efe Omoregbe, manager de la superstar 2Face, et ancien directeur de la société nationale des droits d’auteur (COSON, Copyright Society of Nigeria), dissoute par le gouvernement pour causes de conflits internes. « Nous devons plutôt réparer et nous attaquer aux problèmes structurels graves dans le secteur », assène ce « vétéran » de la musique nigériane. « Nous vivons dans une culture de l’abus de la propriété intellectuelle ».
« On gagne plus d’argent sur les réseaux sociaux qu’en faisant des films »
Quelque 80% des CD piratés dans le monde se trouvent au Nigeria, toujours selon PwC, et en presque 20 ans de carrière, Brymo, chanteur de pop à la voix envoutante, n’a jamais touché l’argent de la diffusion de ses tubes sur les radios locales. « Nous ne sommes quasiment pas protégés de la piraterie », explique-t-il. « A l’international, maintenant on profite des plateformes digitales de distribution telles que Spotify ou Youtube. Mais localement, on gagne de l’argent en faisant des concerts ou de la pub ». Là aussi, beaucoup de deals « se font avec des poignées de main » et trop peu de contrats, regrette Simeon Okoduwa, avocat spécialisé dans les droits de propriété intellectuelle.
Michelle Dede, autre superbe actrice nigériane, assure toujours demander un contrat écrit avant de commencer à tourner. « Les grandes boîtes de production comme Ebony TV ou Africa Magic le font toutes maintenant, et c’est un grand pas. Avant on me prenait pour une prétentieuse! » Il n’existe aucune protection sociale ou salaire minimum pour les acteurs, maquilleurs, cadreurs, éclairagistes… des métiers qui demandent des compétences poussées et restent extrêmement précaires. « On gagne plus d’argent en développant notre marque sur les réseaux sociaux qu’en faisant des films », s’emporte-t-elle. « Mais je devrais travailler mes rôles plutôt que de compter mes likes sur Instagram! » Michelle n’a toutefois pas hésité une seconde à abandonner son travail dans le marketing à Londres pour venir tenter sa chance à Lagos, et devenir une étoile de Nollywood. « Même si on est mal payé, rien ne me rend plus heureuse que de tourner des films. Je n’abandonnerais ça pour rien au monde ».
LQ / AFP