Coup de projecteur sur le prix Nobel de littérature, autour de polémiques qui ont jalonné son histoire, de son évolution, de ses liens avec la géopolitique, alors que le 114e lauréat sera connu jeudi.
En 1964, le philosophe français Jean-Paul Sartre, qui a bâti sa pensée sur la critique de toutes les institutions, fait sensation : il est le premier (et le dernier à ce jour) à refuser un Nobel de littérature. En 1974, les Suédois Eyvind Jonhson et Harry Martinson sont en lice contre Graham Greene, Saul Bellow ou Vladimir Nabokov. Bien que jurés Nobel, ils sont élus. En marge du prix, en 1989, des jurés quittent l’Académie, furieux qu’elle ne soutienne pas publiquement le Britannique Salman Rushdie, condamné à mort par l’imam Khomeiny.
Des lauréats qui divisent
Ces vingt dernières années, deux lauréats ont particulièrement divisé presse et public : le dramaturge, acteur et « bateleur » italien (selon le mot de l’Académie) Dario Fo, en 1997, et le chanteur-compositeur Bob Dylan, en 2016. Le Nobel n’a pas raté des Américains comme Faulkner, Hemingway ou Steinbeck, des Allemands comme Mann, Boell ou Grass, des Français comme Gide, Camus ou Le Clézio. Ils n’ont pas oublié Kipling, Beckett ou Garcia Marquez…
« De manière générale, les jurés ne commettent pas tant d’erreurs que cela : sur 109 lauréats, on trouve une quarantaine de très grands noms », soulignait en 2012 l’enseignant et historien François Comba. Pourtant, que d’absents prestigieux ! Conrad, Strindberg, Joyce, Rilke, Proust, Valéry, Borgès, Brecht, Virginia Woolf… A décharge, certains auteurs sont morts prématurément (le Français Paul Valéry décède peu avant l’annonce du prix dont il est le grand favori en 1945) et une partie de l’œuvre d’autres écrivains a été publiée après leur disparition (Kafka et Pessoa par exemple).
Beaucoup d’oubliés
En revanche, le palmarès compte beaucoup de noms oubliés : Carducci, Mistral, Eucken, Karlfeldt, Spiteller… Figurent parmi eux des poètes, genre confidentiel qui empêche généralement la notoriété. De 1901 à 1985, huit lauréats seulement ne provenaient ni d’Europe ni des États-Unis. Un pays comme l’Inde n’a qu’un seul prix (Tagore, 1913), comme d’ailleurs le monde arabe (l’Égyptien Naguib Mahfouz, 1988). Il était autrefois extrêmement difficile de juger de la littérature non-européenne : les traductions étaient peu nombreuses et la circulation des idées n’avait rien à voir avec l’époque actuelle.
Dans les années 1980, une rupture s’opère, l’intérêt porté aux non-Européens augmentant au sein du jury. En 1986, est récompensé le premier Africain (Wole Soyinka, Nigeria), en 2000 le premier Chinois (Gao Xingjian), en 2006 le premier Turc (Orhan Pamuk). Les femmes (14 lauréates, dont seulement 6 entre 1901 et 1990) vont être davantage primées. Là encore, rompant avec la tradition trop favorable à l’Europe, le Nobel récompense en 1991 la Sud-Africaine Nadine Gordimer et, en 1993, la noire américaine Toni Morrison.
Des choix parfois politiques
L’institution Nobel, qui défend une politique « idéaliste » (d’après le testament d’Alfred Nobel), « est un acteur diplomatique transnational qui a su s’adapter à l’évolution des rapports géopolitiques mondiaux », estime la spécialiste des relations internationales, Josepha Laroche, dans un essai sur le Nobel. L’Académie a soutenu des exilés, des dissidents, des contestataires ou des auteurs interdits de publication dans leur pays, tels Asturias (Guatemala) ou Neruda (Chili).
Dans un contexte de guerre froide, plusieurs choix n’étaient pas exclusivement littéraires, comme ceux du Polonais Milosz (1980), du Tchèque Seifert (1984), du Russe (exilé aux États-Unis) Brodsky (1987). En 1958, Boris Pasternak avait été contraint de refuser le prix, sous la pression du gouvernement soviétique. Et, en 1970, Alexandre Soljenitsyne avait dû décliner la récompense craignant de ne plus pouvoir retourner dans son pays natal. Il l’a finalement reçue en 1974.
Le Quotidien/AFP