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«No Thank You» : le beau cadeau de Little Simz


La rappeuse a glané un Mercury Prize il y a quelques semaines à Londres. (Photo : Forever Living Originals/AWAL)

No Thank You, de Little Simz (hip-hop). Sorti le 12 décembre. Label Forever Living Originals / AWAL.

Apparemment, ce n’était pas suffisant : malgré une année pleine, faite de concerts magnifiques et d’honneurs en pagaille, Little Simz rappelle que son surnom de poche cache un talent immense et des envies qui débordent.

Oui, elle aurait pu se contenter du podium de l’Apollo, salle mythique londonienne, sur lequel elle est montée chercher son Mercury Prize il y a seulement huit semaines.

Une récompense (celui du meilleur album britannique de 2021) qui honore un précédent disque grandiloquent, Sometimes I Might Be Introvert, qui, à défaut d’être devenu un classique, joue des coudes avec les plus grands. Mais la rappeuse aime se montrer là où on ne l’attend pas. Et n’en faire qu’à sa tête.

Sous les projecteurs, statuette en main et chèque en poche, l’artiste âgée de 28 ans s’est déclarée «complètement comblée». Derrière le sourire de circonstance, elle oublie tout de même des paramètres qui comptent : la séparation d’avec son manager de toujours, une tournée américaine annulée en avril et cette fragilité mentale, autrement appelée dépression, qui lui joue régulièrement des tours.

Émotion, honnêteté, technique

Même si, une nouvelle fois, on a entendu sa voix et son flow «mitraillette» au cœur du mystérieux collectif Sault (qui a sorti cinq albums d’un coup début novembre), Little Simz avait besoin de mettre des mots sur ses émotions et les coups du sort.

D’où cette sortie surprise, No Thank You, annoncée il y a tout juste quelques jours, qui esquive le grand étalage des promotions tous azimuts de Noël et se montre tel qu’il est (ou espère l’être) : plein d’émotion et d’honnêteté. Deux termes qui correspondent bien à Little Simz, ce que confirmera le petit millier de personnes venues la voir à la Rockhal, il y a un petit mois, éblouies par sa sincérité et sa technique.

Dans les travées de Belval, les éloges allaient bon train et la comparaison avec Kendrick Lamar revenait régulièrement. Pour beaucoup, ces deux-là sont loin devant les autres.

Ils partagent en tout cas certains attributs : un aspect introspectif, un regard aiguisé sur les mécanismes sociaux et une créativité folle. Le tout à travers une volonté d’émancipation essentielle.

Des textes pleins d’esprit et de colère

Avec cet album qui vient bouleverser les fameux classements de fin d’année, la rappeuse rappelle des évidences. Particulièrement deux, indissociables : que l’industrie musicale broie les artistes qu’elle croise, surtout quand ces derniers n’ont pas la force de résister à la pression.

Un discours qui, ici, est amené de manière percutante, surfant sur une musique faussement dépouillée et à travers des textes pleins d’esprit et de colère : «Je refuse d’être sur un bateau négrier / Donnez-moi tous mes maîtres et baissez vos salaires», dit-elle sur la chanson d’ouverture Angel – précisons dans ce sens que Little Simz sort sa musique sur son propre label, via une société de distribution indépendante.

Une farouche autonomie qui la rapproche de son complice, le génial producteur qu’est Inflo, sans qui elle ne serait sûrement pas si efficace et reconnue. Elle ne l’a d’ailleurs pas oublié lors de son allocution au Mercury Prize («Je ne savais pas si j’allais finir ce disque, mais il m’a poussée à arriver à mes fins»).

J’emmerde les règles et tout ce qui est traditionnel

Ici, elle lui laisse même la vedette : la plupart des morceaux, qui débutent souvent de manière intimiste, quasi décharnés, se terminent par de longs instrumentaux qui donnent des frissons avec leurs tourbillons de voix chorales, leurs cordes luxuriantes et leurs samples ébouriffants.

Une association d’une efficacité sans pareille qui pourrait encore se développer à l’avenir. Little Simz qui clame, toujours dans Angel, «j’emmerde les règles et tout ce qui est traditionnel», pourrait-elle en effet suivre le même postulat, radical, que Sault? À savoir, pas de promotion, pas de live, pas d’interviews, la musique se suffisant à elle-même.

No Thank You, sensation de cette fin d’année, tend à le confirmer. Il faudra à l’avenir être vigilant avec la jeune femme et guetter les moindres soubresauts. Même si sa musique, elle, passera difficilement inaperçue.