Funmilayo Ransome-Kuti, pionnière du féminisme au Nigeria, militante anticolonialiste et mère du musicien Fela Kuti, est enfin célébrée en son pays par un film qui retrace les premières luttes de la «lionne de Lisabi».
À l’école, on apprend qu’elle était la première femme à conduire une voiture au Nigeria, mais elle représente tellement plus que cela», explique la réalisatrice et productrice nigériane Bolanle Austen-Peters à propos de Funmilayo Ransome-Kuti, grande figure militante et féministe du pays, à qui elle consacre un film. Le biopic, qui sort aujourd’hui dans les salles nigérianes, démarre par la défenestration de cette vieille dame par des soldats venus mettre à sac puis incendier la résidence de son fils, le musicien contestataire et roi de l’afrobeat Fela Kuti, en 1978.
Si le film ne mentionne pas qu’elle finira par mourir de ses blessures à 78 ans, cette introduction musclée donne le ton au récit de la vie extraordinaire de Funmilayo Ransome-Kuti, parente du Nobel de littérature Wole Soyinka et matriarche d’une lignée prolixe – l’héritage musical de Fela Kuti étant lui assuré par les fils et petit-fils du musicien, Femi, Seun et Made Kuti.
Mais résumer la mère aux exploits du fils ne serait pas rendre justice aux accomplissements de cette pionnière qui a mené de nombreux combats ayant infléchi l’histoire du pays. Le film se concentre sur la première lutte de cette enseignante, au début des années 1950 : la fin de la taxation, par le roi traditionnel, des femmes du marché d’Abeokuta, une ville située à une centaine de kilomètres au nord de Lagos, la capitale économique et culturelle du pays.
Encore des frissons
«À une époque où les médias sociaux n’existaient pas, elle a rassemblé plus de 10 000 femmes de différents endroits de l’ouest du Nigeria pour assiéger le palais du roi», explique Bolanle Austen-Peters.
«Elle s’est dressée contre les autorités traditionnelles, qui étaient extrêmement puissantes, mais aussi contre le gouvernement colonial», ajoute avec admiration la réalisatrice et productrice. Les taxes ponctionnées aux marchandes d’Abeokuta servaient à enrichir le roi traditionnel mais aussi à renflouer les caisses de l’occupant britannique, vidées pendant la Seconde Guerre mondiale.
Dans une société où les classes sociales étaient irrémédiablement étanches, Funmilayo Ransome-Kuti a réussi à mobiliser «aristocrates et analphabètes» en «une seule et même famille», l’Union des femmes d’Abeokuta.
Le tournage de la scène où 600 actrices et figurantes assaillent sous un soleil de plomb le palais du roi pour «prendre le pouvoir avec (leurs) vagins» donne encore des frissons à Bolanle Austen-Peters, qui «a pleuré pour la première fois sur un plateau».
Le film s’achève en 1955, date du décès de son époux et indéfectible soutien, le pasteur Israel Ransome-Kuti, et fait l’impasse sur les autres combats de la «lionne de Lisabi» : le droit de vote pour les femmes, l’indépendance du pays, finalement gagnée en 1960, et l’éducation des classes défavorisées.
Figure incontournable
Non sans s’attirer régulièrement les foudres du gouvernement nigérian et de ses alliés de l’ouest pour ses contacts avec la Chine et l’URSS en pleine guerre froide. Le parcours de cette féministe et anticolonialiste «nous inspire à vouloir changer le monde et à contribuer à la société», défend Bolanle Austen-Peters, pas sûre elle-même de se définir comme «féministe» mais «prête à se battre si on (la) discrédite à cause de son genre».
C’est l’objectif que cette ancienne avocate s’est fixé il y a vingt ans, lorsqu’elle a créé Terra Kulture, un lieu culturel à Lagos où elle a commencé à montrer ses premières comédies musicales, un genre alors sous-exploité au Nigeria, dont certaines, comme Wakaa et Saro, ont été jouées à Londres.
Elle s’est ensuite lancée dans la production et la réalisation de films, notamment avec le long métrage 93 Days (2016), sur l’épidémie d’Ebola, ajoutant sa touche au monstre «nollywoodien», le Nigeria étant la deuxième industrie cinématographique au monde en termes de quantité de films produits, juste derrière l’Inde.
Aujourd’hui, Terra Kulture est aussi un lieu de formation pour de jeunes aspirants professionnels du spectacle, mais «on peut encore faire mieux en termes d’impact», notamment «pour les prochaines générations», confie Bolanle Austen-Peters, 55 ans et désormais figure incontournable de l’industrie nigériane du divertissement, qui compte à son actif plusieurs coproductions Netflix.
Le dernier film de Bolanle Austen-Peters, simplement titré Funmilayo Ransome-Kuti, a déjà été adoubé : il a remporté les prix du meilleur scénario et meilleur long métrage au festival international du Film d’Afrique, ainsi que celui du meilleur scénario aux Africa Magic Viewers’ Choice Awards.