L’abbaye de Neumünster propose 172 manifestations d’ici le 1er avril 2017. La dimension politique et humaniste est omniprésente dans cette programmation.
« Onze personnes meurent par jour en Méditerranée », lance Ainhoa Achutegui, la directrice générale, lors de la présentation des six prochains mois de la programmation culturelle de l’abbaye de Neumünster. «23 000 personnes sont mortes en mer depuis 2001; et encore, ce n’est là que le chiffre tiré des corps qu’on retrouve sur les plages, il y a aussi ceux qu’on ne retrouve pas.»
On l’aura compris d’emblée, pendant les six prochains mois, la dimension politique sera prioritaire dans la programmation du Centre culturel de rencontre abbaye de Neumünster. «Depuis plus d’un an, on entend partout parler de la crise des réfugiés, des migrants, etc. On s’est dit qu’on voulait en parler, nous aussi, à travers des conférences, de manière artistique. Quand on lit que 33 nouveaux murs ont été érigés depuis la chute du Mur de Berlin, on se dit qu’on a vraiment une responsabilité, un rôle à jouer dans tout ça», ajoute la responsable.
Ainsi, pour faciliter le dialogue interculturel, Neimënster a mis en place un «Automne oriental» avec du théâtre : Dans les yeux du ciel, la pièce de Rachid Benzine, mise en scène par Joël Delsaut et avec Valérie Bodson, que le public a déjà pu découvrir lors du Monodrama festival, mais présentée ici dans une version retravaillée; Lettres persanes, de Guillaume Clayssen, d’après la pièce de Montesquieu, dans une version actuelle, documentaire sur le regard d’étrangers sur la France, et quelque part l’Europe, d’aujourd’hui. Dans le cadre du même festival, le concert du Cumuli Trio, groupe de musique turque revisitée et actualisée, et aussi une importante conférence sur «Le patrimoine mondial de l’Unesco au Proche-Orient : Dangers et Enjeux» pour se pencher, une soirée au moins, non pas sur les pertes humaines ou de territoires dans les conflits actuels, mais sur le danger couru par «ce patrimoine mondial, qui nous appartient donc à tous».
Le festival «Automne Oriental» courra ainsi de la mi-octobre à la mi-décembre, entrecoupé, bien évidemment, par une myriade d’autres rendez-vous. Parmi eux, ceux du «Focus migrants» qui s’étirera, lui, sur une période encore plus longue : de la fin octobre à la fin mars 2017.
Là encore, l’art de la scène sera très présent. Au programme : Welcome to paradise, un projet de Carole Lorang et Mani Miller qui se sont entretenus avec une cinquantaine de demandeurs d’asile, ici au Luxembourg, et ont travaillé ensuite sur ce projet de théâtre/documentaire qui raconte leurs histoires. Une pièce qui œuvre vers le vivre ensemble. Également au programme : Traversée, d’Estelle Savasta, qui s’intéresse au sort des réfugiés enfants. Mais aussi l’installation théâtrale Partir, qui plonge le spectateur dans un camp de réfugiés et explique, de manière très pédagogique, les raisons qui ont poussé ces migrants à quitter leur pays.
Regards d’ici, regards de là-bas
Le «Focus migrants» est complété par une projection-débat autour du film Syngué Sabour d’Atiq Rahimi qui présente un Afghanistan qui ne se résume pas aux Talibans et autres burqas. Enfin, deux grandes expositions vont venir compléter le fil rouge de ce semestre : «Isle Landers – au risque de la traversée» du photojournaliste Darrin Zammit Lupi qui a documenté le sort des nouveaux boat people qui traversent la Méditerranée et débarquent sur les côtés italiennes, grecques ou encore maltaises. À découvrir au cloître de l’abbaye. Tandis que, dans la chapelle, Chiara Debize présentera ses surprenants clichés remplis de vie, pris dans la tristement célèbre Jungle de Calais.
Si le «Focus» s’arrête officiellement là, d’autres rendez-vous auraient également pu y figurer. «Les thématiques s’entremêlent les unes avec les autres», reconnaît d’ailleurs Ainhoa Achutegui. Ainsi, dans le cadre d’Humour pour la Paix, les spectateurs pourront apprécier Nora Hamzawi et Pierre Kroll dans deux spectacles qui décortiquent l’actualité; mais aussi le premier one man show de Diogène Ntarindwa, acteur d’origine rwandaise, né au Burundi, ancien enfant soldat devenu comédien – et que les spectateurs grand-ducaux ont pu découvrir au début du mois dans la pièce Hate Radio –, ou encore le spectacle d’Ahmed Albasheer qui a vu la plupart de ses amis mourir sous ses yeux lors d’un attentat-suicide dans sa ville de Ramadi, en Irak. Et pour «répondre» à ces spectacles «venus d’ailleurs», Guy Rewenig propose, dans le même cadre, Comment blanchir les bêtes noires sans les faire rougir, l’histoire d’un demandeur d’asile africain qui veut devenir plus luxembourgeois que les Luxembourgeois.
Migration toujours, au programme du «Focus Malte» proposé à l’occasion de la présidence maltaise du Conseil de l’Union européenne; ainsi que dans The Bock, Festung Europa. Ein Panorama, une création commandée par la Philharmonie de Luxembourg au compositeur Daniel Ott et qui prendra le rocher du Bock, en face de Neimënster, «en tant que symbole de cette Europe puissante aux rives de laquelle échouent désormais des milliers de migrants». Les musiciens de l’UGDA prendront place dans les casemates, tandis que les spectateurs découvriront ce programme debout, depuis le Grund, dans le parvis de l’abbaye. Bref, si la programmation de Neimënster demeure musicale, théâtrale, cinéphile et artistique, elle sera, encore une fois, éminemment politique.
Pablo Chimienti