Avec Il sol dell’avvenire, Nanni Moretti livre la chronique d’un homme qui ne se sent plus vraiment en phase avec son époque, miroir de ses propres tourments.
Trente ans après Caro diario, l’affiche du dernier film de Nanni Moretti, Il sol dell’avvenire joue la carte du «remake» graphique, à une différence près : cette fois, l’acteur et réalisateur n’apparaît plus au guidon d’une Vespa, mais d’une trottinette électrique. Le cinéaste italien, qui s’était jadis mis en scène à travers son double de fiction Michele Apicella, s’appelle ici Giovanni – dont Nanni est le diminutif –, un réalisateur de cinéma qui ne comprend plus les méthodes de travail de ses contemporains ni les choix de sa femme, qui le quitte, ou de sa fille, qui se met en couple avec un producteur bien plus âgé qu’elle.
«J’espère que ce n’est pas un testament!», souriait le réalisateur de 69 ans au dernier Festival de Cannes, où il était pour la neuvième fois de sa carrière en compétition officielle. Soit 45 ans après la satire explosive Ecce Bombo (1978), son deuxième long métrage et premier projeté sur la Croisette, et 22 ans après sa Palme d’or pour le drame familial La stanza del figlio (2001). Cette nouvelle mise en abyme charrie son lot de nostalgie, mais «il n’y a pas de tristesse», assure-t-il. «Il y a le bonheur de créer les choses, de les imaginer, et de l’humour.»
«Le personnage, qui éprouve de la gêne à vivre dans le monde d’aujourd’hui, est très proche de moi», convient simplement et honnêtement Nanni Moretti : «Il ne comprend pas certains mécanismes qui caractérisent le travail dans un certain monde du cinéma et à la télévision.» Une nostalgie qui ne tourne jamais à l’aigreur : de ces instants où il ne se sent plus vraiment de son époque, le cinéaste prend le parti de sourire. L’occasion de moments savoureux, comme la rencontre avec un jeune homme qui pense que les communistes italiens n’ont jamais existé, ou une réunion avec des créatifs chez Netflix qui tourne au choc des cultures lorsqu’on lui réclame un «moment « what the fuck »» dans son scénario.
«C’est une manière de se moquer, non seulement de Netflix, mais de toutes les plateformes! Ça vaut aussi pour Amazon, Disney et les autres… C’est une façon de travailler qui n’est pas la mienne», poursuit le réalisateur, tout en précisant qu’il ne s’agit pas d’une expérience personnelle. «J’aimerais que, pour un peu de temps encore, les cinéastes investissent pour le cinéma au cinéma parce que, selon moi, le cinéma au cinéma conserve intacts sa force, son impact et sa magie.»
Connu pour son engagement à gauche, le cinéaste convoque également l’histoire du communisme italien triomphant dans les années 1950, quand le Parti communiste (PC) de la botte était le plus important du monde occidental, et la deuxième force politique du pays. L’occasion d’un film dans le film, où Moretti recrée l’arrivée d’un cirque hongrois en Italie, en 1956, au moment de la répression sanglante de l’insurrection de Budapest contre le pouvoir soviétique, illustrant les dilemmes moraux de la gauche de l’époque. L’année «1956 aurait pu être un grand tournant pour la gauche occidentale, dans un monde qui était divisé en deux blocs», explique Nanni Moretti, qui projetait initialement de tourner un film entier sur cette période.
Le réalisateur récuse le parallèle avec l’Europe d’aujourd’hui, en proie à la montée des populismes. Et assure même n’être pas particulièrement inquiet pour la création en Italie, à l’heure du gouvernement ultraconservateur dirigé par Giorgia Meloni. «La droite fait de la droite, et je souhaite que bientôt la gauche recommence à faire de la gauche», commente-t-il simplement. «Au cours des dernières années, la gauche a eu de gros problèmes d’identité, le moment est venu qu’elle reprenne son identité.»
Avec son titre optimiste, Il sol dell’avvenire comporte aussi un hommage à la «famille» de cinéma de Nanni Moretti. Pas seulement avec la présence de Margherita Buy et Silvio Orlando, ses deux acteurs fétiches qui partagent avec lui le haut de l’affiche, mais aussi en insérant une séquence de défilé en plein centre de Rome, entre manifestation politique et parade de cirque, où Moretti a réuni les acteurs de tous ses films précédents. Ainsi que quatre éléphants : une scène écrite «sans penser aux problèmes d’organisation», s’amuse le cinéaste.
Il sol dell’avvenire de Nanni Moretti.