Pour Nancy Braun, la ville d’Esch «doit se démarquer» culturellement. À quatre mois de l’ouverture, la directrice générale d’Esch2022 explique son attachement aux notions de territoire et d’identité, essentielles selon elle aux préoccupations culturelles de demain.
La directrice générale d’Esch2022, Nancy Braun, a déjà les yeux tournés vers l’avenir. Non pas le futur immédiat de 2022, mais bien celui d’après, quand le projet de capitale européenne de la culture aura donné des résultats. Pour elle, les questionnements d’aujourd’hui doivent forger l’identité de demain, qui entend se poser comme une alternative à ce que l’on connaît à Luxembourg et dans les autres villes de la Grande Région. Entretien.
La mise en place d’Esch2022 a traversé maintes complications, la dernière en date étant le covid. Dans quel état d’esprit vous sentez-vous après la grande présentation du projet ?
C’est un grand soulagement. Avec plus de 2 000 événements et activités, nous ne pouvions donner qu’un aperçu de tout ce que l’on essaie de mettre en place, mais nous avons montré que malgré la situation, les équipes et les partenaires ont travaillé dur pour être prêts. Nous sommes tous conscients qu’Esch2022 représente un défi, mais il ouvre aussi des perspectives et c’est ce qui a permis de garder la motivation intacte.
Les grands questionnements de 2022 tournent autour de l’identité, de la langue, de l’engagement transfrontalier… Des axes déjà très forts en 2007, quand Luxembourg était capitale européenne de la culture. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Non seulement ces sujets sont toujours d’actualité, mais ils vont le rester. Toute la région est en plein développement et cela amène de nouveaux défis. Nous souhaitons une culture durable : dans ce sens, 1995 et 2007 ont déjà construit beaucoup de choses. À nous de récolter ces fruits pour poursuivre dans la même ligne. On remarque que depuis sa création en 1985, le projet de capitale européenne de la culture est passé par plusieurs étapes. La dernière, dans laquelle on se trouve actuellement, met l’accent sur la participation citoyenne. Nous avons plus de 500 bénévoles qui rendent possible la mise en place du projet et soutiennent la transformation de la ville. Cette participation active, par exemple, est un élément nouveau.
Inviter William Kentridge quelques mois après qu’il a été mis à l’honneur au Mudam, qu’est-ce que cela apporterait ?
Un autre axe important est la découverte du territoire…
C’est la découverte d’un « territoire méconnu », comme l’a dit le ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Énergie, Claude Turmes. Notre intention est aussi de faire découvrir ou redécouvrir une ville, pas seulement aux touristes, mais à ses habitants, qui ont l’habitude de la voir et ne la remarquent plus. L’un de nos rôles est d’amener les gens à apprécier de nouveau l’environnement dans lequel ils habitent et travaillent, afin de développer ensemble un futur commun.
Esch, à la différence de ses villes jumelles, Kaunas et Novi Sad, n’a pas – encore – dévoilé de véritables noms porteurs pour 2022…
Cela fait aussi partie de notre conception. Certes, à Kaunas et Novi Sad, il y aura William Kentridge, Marina Abramovic… Mais inviter Kentridge quelques mois après qu’il a été mis à l’honneur au Mudam, qu’est-ce que cela apporterait? Nous devons nous démarquer par rapport à ce qui se passe dans le reste du pays et soutenir le développement culturel et artistique local, régional et national. De grands noms vont arriver, ne serait-ce qu’avec les festivals de musique, mais je crois fermement qu’il faut se démarquer.
Vous démarquer, c’est l’idée qu’Esch veut construire sa propre identité culturelle ?
Absolument. Ce sera le cas avec les différents projets mis en place. L’un de nos objectifs est de faire venir les gens à la culture en même temps que la culture vient à eux. Cela ne se fait pas nécessairement par des grands noms, qui peuvent d’ailleurs impressionner ceux qui vont moins facilement vers la culture. Éliminons cette peur et donnons les clefs nécessaires pour que le public puisse aborder tranquillement et avec enthousiasme les événements à venir. Des noms d’artistes plus connus vont arriver, mais je reste convaincue que le plus important, c’est l’essence du projet Esch2022, qui a été dévoilée jeudi matin.
Vous avez souligné à plusieurs reprises que 2022 n’est pas une finalité, mais que ce qui va se passer après est peut-être même plus important. L’après, vous commencez déjà à le construire ?
On vient de commencer. Cette question revient régulièrement et concerne d’abord la Commission européenne, parce que les projets de capitale européenne de la culture sont destinés à laisser un héritage. Il est déjà l’heure pour nous de voir comment certaines initiatives peuvent se développer ou rester après 2022. L’acquisition par la commune de nouveaux espaces culturels aura un premier impact, mais tout ce qui est en train de se mettre en place soutient la stratégie culturelle définie par la Ville d’Esch. D’un autre côté, certains de nos partenaires – le syndicat Pro-Sud, l’office du tourisme… – peuvent reprendre et développer après 2022 des projets initiés aujourd’hui. C’est un énorme investissement qui est fait, autour de 138 millions d’euros, mais il n’est pas fait sur une année. Il entend la transformation et le développement durable d’une ville et d’une région, soutenus par Esch2022.
Entretien avec Valentin Maniglia