Dans un format toujours généreux, avec musique et équipe touffue, Myriam Muller dévoile cette semaine Liliom ou la vie et mort d’un vaurien. L’occasion d’évoquer avec la metteuse en scène son activité sur scène et en coulisses. Rencontre.
Alors qu’aujourd’hui, selon elle, les théâtres n’ont pas encore retrouvé leur rythme de croisière d’avant pandémie, Myriam Muller ne change pas pour autant ses habitudes. Celles d’un théâtre choral, qui fait la part belle aux comédiens qu’elle convoque en nombre et en musique. Ce coup-ci, après de belles réussites (Breaking the Waves, Ivanov), c’est la pièce de Ferenc Molnár, créée en 1909, qui passe entre ses mains – que l’auteur hongrois lui-même qualifiait de singulière.
Liliom ou la vie et mort d’un vaurien, abordée ici à la manière d’un «conte burlesque et onirique», joue en effet avec les humeurs. D’un côté, une ambiance de fête foraine et des espoirs en pagaille. De l’autre, la violence domestique et l’impossible élévation sociale. Une histoire faite d’ombres et de lumières, un peu comme la vie, dirait Myriam Muller, 50 ans, qui en 2022, reviendra en coulisses avec Juste la fin du monde et en tournée dans la peau d’Hedda Gabler. L’occasion de parler théâtre. Avec générosité, bien sûr !
Ces dernières années, la mise en scène prend chez vous plus de place que le jeu. Est-ce un choix volontaire ?
Myriam Muller : Cela s’est fait naturellement. Au départ, je jouais beaucoup, et j’ai eu l’impression de tourner en rond. Passer à la mise en scène m’a offert un souffle, un challenge. Mais quand elles s’accumulent, l’agenda se remplit et on ne peut plus faire que cela ! En même temps, j’y ai vite trouvé ma place, car je connais bien le métier de l’intérieur. Et ça me plaisait de ne plus trop être exposée, et d’exposer les autres (elle rit).
Jouer aussi peu, est-ce un crève-cœur ?
D’un côté, travailler avec les comédiens est un vrai plaisir. D’un autre, quand on perd l’habitude de jouer, c’est cruel, mais on ne compte plus sur vous. Les raisons sont diverses : d’abord, j’arrive à un âge où il y a moins de rôles pour moi. Ensuite, les gens ne vous appellent plus parce que vous avez tout refusé depuis des années. Enfin, certaines personnes ne veulent pas se trouver avec une metteuse en scène dans leur distribution : oui, ça peut faire peur !
Le théâtre, c’est comme la bicyclette : quand on a eu l’habitude d’en faire, les réflexes reviennent vite !
Vous êtes pourtant revenue sur scène en 2020, dans la peau d’Hedda Gabler…
En jouant dans cette pièce (NDLR : d’Henrik Ibsen), j’ai remarqué que j’étais encore à ma place sur un plateau. Par contre, je me suis longtemps posé la question de savoir si rejouer était le bon choix. J’avais peur d’avoir perdu le truc, d’être trop juste. Heureusement, le théâtre, c’est comme la bicyclette : quand on a eu l’habitude d’en faire, les réflexes reviennent vite ! C’est vrai, la pièce était complexe, et j’ai morflé… Mais c’était facile de se remettre dans le bain.
En quoi votre expérience de comédienne influence-t-elle celle de metteuse en scène ?
C’est simple : on sait ce que vivent les comédiens, et ça amène un respect mutuel. C’est important, pour une équipe, d’avoir quelqu’un qui connaît le métier, les aléas de la recherche, les moments de doute… Je sais ce qu’ils traversent, ce que c’est de mouiller sa chemise tous les soirs. Selon moi, un metteur en scène qui n’a jamais lui-même joué, ne peut avoir ce lien avec les comédiens. Après, ça ne veut pas dire qu’il est plus mauvais. Surtout pas !
Y a-t-il un style « Myriam Muller » ?
(Elle réfléchit) Disons que mon obsession, c’est de faire des pièces pour le public. Et cette idée s’est amplifiée avec la pandémie. On ne fait pas du théâtre pour prêcher les convaincus ni pour se faire mousser auprès des gens du métier. On est là pour monter des spectacles qui parlent de choses profondes, tout en y trouvant des formes qui puissent interpeller un maximum de monde. Regardez cette réalisatrice, Chloé Zhao qui, après un film d’auteur (Nomadland), enchaîne avec un autre de superhéros (Eternals). Pour justifier cet écart, elle dit que les genres doivent se renouveler et que le cinéma populaire ne doit pas être forcément fait à la truelle, sans aucune idée artistique derrière. Ça me plaît bien comme propos…
Une pièce est réjouissante quand on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé…
Quand on prend deux de vos récentes pièces, Breaking the Waves et Ivanov, et la prochaine, Liliom, on est dans la tragi-comédie. C’est le genre qui vous plaît le plus ?
Oui, cet équilibre fragile entre comédie et tragédie est toujours intéressant à manier. C’est un peu comme la vie : quand on sort de chez soi, on ne sait pas ce qui va se passer. Vous pouvez vous casser la figure comme voir un copain et aller boire un coup avec lui ! Ce que je trouve réjouissant avec une pièce, c’est quand on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé… Bien sûr, quand vous allez voir Phèdre, ça risque d’être tragique ! Idem pour Feydeau, qui est rarement autre chose que du vaudeville. Moi, j’aime l’entre-deux, le mélange. C’est pour ça que les plus grands auteurs, pour moi, sont Molière, Tchekhov et Shakespeare. Avec eux, c’est symptomatique : ils passent toujours d’un genre à l’autre. Ça glisse tout le temps !
Avec une constante, tout de même : l’amour et la mort…
C’est vrai. Ce sont des sujets étroitement liés qui nous réunissent tous et font de ces pièces quelque chose d’universel. C’est ça, le théâtre : l’expérience du vécu humain. C’est là que se trouve sa plus-value.
Vous avez aussi des préférences pour les personnages en marge, les laissés-pour-compte…
Oui. C’est d’ailleurs le cas avec Liliom qui se rapproche des pièces de Victor Hugo. Ça parle d’évolution sociale impossible, jusque dans la violence domestique qui n’est que la conséquence de cette incapacité à s’élever. Cette inégalité, cette exclusion, ça a aussi, de nouveau, quelque chose d’universel dans son traitement : ça touche les sexes, les races, différentes couches sociales…
Liliom évoque, comme vous l’avez précisé, la violence domestique et le poids du patriarcat. Est-ce important de revenir régulièrement sur ces sujets, en tant que voix féminine ?
De nombreuses femmes de ma génération n’ont pas attendu le mouvement #MeToo pour évoquer ces sujets-là… Et c’est vrai, il y a eu des avancées, avec l’emballement médiatique. Mais il faut rester vigilant ! D’ailleurs, Liliom répond à un choix personnel de parler de ça, mais à travers une pièce non didactique. Car mettre des opprimés sur scène et dire « ce n’est pas bien, changeons le monde ! », c’est trop facile ! La pièce d’Ibsen en est une illustration : elle dit notamment que les hommes sont aussi le produit d’un lourd patriarcat qui les conditionne.
Il y est question de langage. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les deux personnages sont victimes de leur condition sociale et d’un patriarcat qui les empêche de changer les rôles attribués à la femme et à l’homme. Ils ne sont pas très éduqués, n’arrivent pas à dialoguer. Le langage est absent entre eux. Dès qu’ils sont acculés, c’est la violence qui parle.
Le grand changement que l’on peut observer dans vos créations, c’est le recours à la musique. Pourquoi ?
C’est clair, si ça continue, je vais faire une comédie musicale (elle rit). Pour moi, la musique a toujours été importante. J’aime le cinéma, et dans mes mises en scène, il y a toujours comme des bandes-son. Ça apporte de la dynamique et on y gagne aussi en moyen : pas besoin de trois monologues, on met une chanson et paf, ça rentre dans le cœur ! Pour Liliom, j’ai cherché des comédiens qui savaient jouer d’un instrument. Aujourd’hui, je me trouve à la tête d’un orchestre !
Ça risque d’être animé sur scène…
C’est que l’on est dans l’univers des forains : il y a des artistes, des saltimbanques… et de la musique bien sûr !
Encore une fois, on retrouve chez vous le goût du casting « XXL« . Ça va s’arrêter où cette démesure ?
(Elle rigole) Parfois, je me dis : « bon là, t’exagères, va faire un monologue ». Mais j’aime les acteurs et j’aime en avoir beaucoup. C’est comme une gourmandise ! Après, ce n’est pas la masse qui compte, mais la générosité d’une équipe. Ensemble, on est un peu comme en famille et la mise en scène avance avec l’engagement de chacun. Plus il y a de monde, plus il y a d’idées. Mais j’ai quand même le dernier mot !
Entretien avec Grégory Cimatti
La pièce
Liliom, le bonimenteur de foire, tourne en rond sur le manège de la fête foraine, jusqu’à ce qu’au clair de lune, il rencontre Julie, la petite bonne. Alors l’amour laisse croire à un changement, à une possible liberté. Mais bientôt le cercle se referme : le chômage, les magouilles, la misère et les coups font leur apparition. Au milieu de ce désespoir, un avenir pointe son nez. L’enfant s’annonce, et Liliom se reprend à rêver. C’est décidé, ils partent en Amérique. Reste seulement à trouver un peu d’argent. Mais dans la spirale qui l’entraîne vers sa chute, un braquage ne peut que mal tourner…
«Liliom ou la vie et mort d’un vaurien»
Grand Théâtre – Luxembourg.
Première, jeudi à 20 h.
Jusqu’au 28 novembre.