Multi-instrumentiste et à la tête de plusieurs projets, Veda Bartringer met son talent et sa sensibilité féminine au service du jazz. Avec son quartette, elle signe un premier album, Deep Space Adventure, en haute altitude. Rencontre.
Elle se nomme Veda en hommage à la petite fille de My Girl (1991), film fétiche de sa mère. Grande tignasse rousse aussi flamboyante que sa guitare Ibanez qu’elle porte en bandoulière, la jeune femme, 28 ans, se fait doucement une place sur la scène jazz nationale qui manque, comme ailleurs, de représentantes. C’est pourtant avec le classique que Veda Bartringer s’est formée, d’abord au piano, puis à la guitare et au chant lyrique, avant de découvrir les libertés qu’offre le jazz, qu’elle explore avec son quartette sur un premier EP en 2022 (The Butterfly Effect), puis cette année en long format (Deep Space Adventure). Dessus, sans combinaison, elle sonde les méandres de l’espace à travers une musique souvent tranquille et toujours inventive, où tous les instruments s’y expriment sans contrainte. Enseignante à l’école de musique d’Echternach et à l’UGDA, lauréate de la seconde édition du dispositif PROPULSION (cycle d’accompagnement et de mise en réseau), elle a encore des tonnes d’autres projets à défendre. Premières confidences avant que l’on ne parle que d’elle.
En dehors des chanteuses, les femmes se font rares dans le milieu du jazz, au Luxembourg comme ailleurs. Pourquoi ?
Veda Bartringer : Je ne sais pas, mais le constat est là. Quand j’ai fait mes études (NDLR : au Conservatoire royal de Bruxelles), on était seulement trois filles à jouer un instrument sur tout le cursus. Il n’y avait aucune guitariste, et la première que j’aie rencontrée de ma vie date d’il y a six mois… C’est incroyable, non? Et comment, du coup, inspirer les plus jeunes d’entre elles à venir vers la musique? Quand j’étais petite, mes modèles n’étaient pas plus nombreuses : il y avait la guitariste de Michael Jackson et celle de Beyoncé, c’est tout.
Comment, à l’école et aujourd’hui sur scène ou en studio, vivez-vous ce décalage ?
Je ne veux pas généraliser, car ça dépend surtout sur qui l’on tombe. Il se peut malheureusement que l’on ne vous prenne pas au sérieux. Par exemple, il m’est arrivé qu’à la fin d’un concert, des gens viennent me voir pour me demander qui est à l’origine des morceaux, et imaginent que ça vient d’un de mes musiciens, pas de moi. Ça n’est jamais agréable à entendre…
Est-ce alors plus dur de percer dans le milieu qu’un homme ?
Déjà, quand on est seule dans un domaine, on se sent souvent mis à l’écart. Après, oui, je dirais en effet qu’il est plus difficile pour une femme de s’affirmer : personnellement, j’ai eu l’impression que je devais toujours faire plus. À Bruxelles, j’ai fait des jam sessions où, quand un mec jouait un truc sympa, les gens disaient : « mais il est incroyable! ». J’aurais pu venir et jouer exactement la même chose juste après, j’aurais entendu : « mais est-elle bien sûr d’elle, là? ».
En l’absence de modèle féminin comme vous dites, espérerez-vous alors en devenir un ?
Évidemment, mais les choses changent! C’est ce que j’observe aujourd’hui en tant que professeure de musique : la moitié de mes élèves sont des filles. J’en suis tellement fière! Et les parents sont à fond derrière elles. C’est beau à voir.
Personnellement, j’ai eu l’impression que je devais toujours faire plus que les garçons
J’ai trouvé l’inspiration… sur ARTE!
Vous avez étudié le chant et le piano en même temps que la guitare. Pourquoi s’est-elle imposée ?
(Elle rit) Ça a été long! Pendant des années, les enseignants me demandaient régulièrement : « tu ne voudrais pas choisir? ». Mais moi, j’avais besoin des trois pour m’épanouir. La différence s’est faite quand j’ai pris des cours de jazz à la guitare pour parfaire ma technique classique, explorer le manche. J’ai vite vu à quel point on pouvait improviser, s’amuser avec… Je suis devenue accro! C’est l’instrument avec lequel je me sens capable de foncer, et qui va m’accompagner le reste de ma vie.
Est-ce aussi votre instrument de prédilection pour composer ?
(Elle hésite) Disons que ça dépend des envies, de l’inspiration. Si je travaille sur une mélodie, je me mets à chanter en m’imaginant quel air pourrait entrer et rester dans la tête du public. Par contre, pour ce qui est des harmonies, le piano, avec ses repères visuels, reste le plus pratique. Mais c’est vrai que plus le temps avance, plus la guitare prend de la place!
En quoi, chez vous, la création d’un quartette s’imposait-il ?
Pour la dernière année de master, il fallait présenter un projet en groupe. Dès le début, je voulais quelque chose qui ait du sens à long terme, qui dure. Le saxophoniste (Julien Cuvelier) et le batteur (Maxime Magotteaux) étudiaient avec moi en Belgique. On s’est alors vite entendus. Quant au contrebassiste (Boris Schmidt), lui, j’allais le voir régulièrement en concert au Luxembourg. Ce que je ne savais pas, c’est qu’il habitait juste à côté, à Bruxelles. Il est passé lors d’une représentation, je lui ai demandé de jouer avec moi, et il a dit oui directement. Depuis, je ne les lâche plus!
Votre album, Deep Space Adventure, part dans l’espace, de Jupiter aux astéroïdes. Pourquoi cette thématique ?
Je voulais un concept qui réunisse toutes mes compostions, et j’ai trouvé l’inspiration… sur ARTE! C’était un documentaire sur les satellites dont la sonde Voyager qui, envoyée en dehors du système solaire, a réalisé la photographie la plus lointaine de la Terre. D’où le nom de mon premier single, Pale Blue Dot, avec l’idée derrière qu’il faut défendre notre planète, aussi petite soit-elle. À partir de là, le sujet s’est développé aux autres titres, pour quelque chose qui saute à l’œil, un peu « flashy« .
C’est un sujet qui colle bien à votre musique, non ?
Mon premier EP, The Butterfly Effect, était doux du début à la fin. Là, je voulais montrer ce dont j’étais capable, affirmer la passion et l’énergie qui m’animent pour les regrouper dans ce disque qui alterne à la fois les temps calmes et d’autres plus vigoureux. En un mot : dynamique.
Avec ces références à l’espace, peut-on dire que vous être la Brian May du Luxembourg ? Le guitariste de Queen a un doctorat en astrophysique…
(Elle rit) C’est une sacrée référence… Mais ça me va!
Sur cet album, vous laissez beaucoup de place aux trois autres musiciens. Est-ce cela, la sensibilité féminine ?
Ce qui est important pour moi, c’est de mettre mes musiciens en valeur. Sans eux, mes compositions ne sonneraient pas comme ça. Et ils ont tous du caractère, un son incroyable qu’il faut défendre et mettre en lumière. Sans oublier que le jazz, c’est une conversation, un échange. Humainement, ça en dit long…
Un premier disque est toujours important dans la carrière d’un ou d’une artiste. Que pensez-vous du vôtre?
J’en suis satisfaite à 100 %! Mais j’ai surtout hâte de le montrer au public, de m’amuser avec cette musique-là sur scène, de l’explorer avec mes musiciens. Bref, qu’elle vive!
Quelles sont vos envies artistiques ?
The Butterfly Effect avait un objectif : me montrer au Luxembourg, prendre la température et gagner en légitimité. Avec ce disque, je vise plus loin, notamment avec l’envie d’aller jouer en Allemagne, en France et aux Pays-Bas. Sans oublier la Belgique qui m’a vue grandir.
Vous avez d’autres projets : en solo, avec un guitariste (Joël Rabesolo), un saxophoniste (Fabrice Muratore), une chanteuse (Ann Vandenplas) et des musiciens du Conservatoire (Lumens). Finalement, on n’a vu et entendu qu’une toute petite partie de vous…
Oui, ce n’est que le début. Et il y a plein de bonnes choses à venir dans le futur. D’ailleurs, dans deux ans, j’ai le projet de faire le lien entre la musique classique et le jazz, en associant mon quartette à un quatuor à cordes. Je suis trop impatiente !