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[Musique] The Divine Comedy : Neil Hannon, plus vieux et pluvieux


(Photo : kevin westenberg)

Après la reformation d’Oasis et l’album More de Pulp, c’est au tour de The Divine Comedy de revenir sur le devant de la scène. Avec Rainy Sunday Afternoon, la britpop se porte bien : Neil Hannon est toujours aussi émouvant et piquant.

La classe et le classicisme

À la fin des années 1980 et au début des années 1990, la scène anglo-saxonne oscille entre l’héritage new wave, la noise et le shoegaze, mais aussi les premiers élans britpop et les déluges de grunge. Il y aurait de quoi finir avec des acouphènes. Si le Royaume-Uni s’apprête à couronner Blur et Oasis, The Divine Comedy, porté par l’Irlandais Neil Hannon, emprunte une tangente plus baroque. Liberation (1993) s’inscrit dans la lignée d’une pop lyrique sophistiquée qui fait plus que des clins d’oreille aux arrangements des sixties – Scott Walker et Burt Bacharach en tête. Fils d’un ecclésiastique d’Ulster, Neil Hannon grandit dans une Irlande du Nord en proie aux «Troubles», une expérience personnelle qui reviendra dans Sunrise (1998), un titre célébrant l’espoir né des accords de paix. Très tôt, le garçon se gave de Top of the Pops, fasciné par Electric Light Orchestra (l’album Out of the Blue, 1977), puis par Gary Numan ou OMD. Entre le rock symphonique et l’electro-pop, Hannon sait sur quel pied danser – les deux.

Avec quelques amis de lycée, il forme sa première mouture du groupe – le nom The Divine Comedy est adopté alors qu’il vient d’atteindre la majorité. Après un premier essai confidentiel en 1990 (Fanfare for the Comic Muse), il rentre en Irlande peaufiner son style et le tournant de la notoriété arrive à la moitié des années 1990 avec Promenade (1994) et surtout avec un Casanova (1996) qui provoque dans la même salle des applaudissements du public et de la critique. Avec son costume de dandy érudit, Neil Hannon, sur la ligne généalogique de ses contemporains, se rapproche évidemment plus de Jarvis Cocker que des frères Gallagher et de leurs morceaux de stade. Mais oui : The Divine Comedy fait le pont, avec souplesse, entre la tradition orchestrale anglaise et la scène pop moderne.

Groupe dantesque, musique dantesque ?

À l’instar de l’œuvre de Dante, la musique de The Divine Comedy navigue entre la farce disons terrestre et les montées spirituelles. La pop anglo-saxonne ne manque pas de groupes qui empruntent leur nom à un bouquin, de Belle and Sebastian, qui doit le sien à l’ouvrage de Cécile Aubry, au Velvet Underground qui l’a trouvé dans un livre-enquête de Michael Leigh sur les paraphilies aux États-Unis. Comme pour Bright Eyes, chez The Divine Comedy, la littérature, ce n’est pas de la pose ni du flanc – Neil Hannon a même écrit un morceau, The Booklovers, qui énumère une ribambelle d’écrivains, d’Anaïs Nin à Marcel Proust, en passant par Bret Easton Ellis, Doris Lessing et Kazuo Ishiguro.

Lui-même est comparé à Noël Coward; son esprit caustique s’illustre dans National Express, une retranscription d’observations depuis un voyage en car. Selon Neil Hannon, aucun sujet n’est trop banal pour générer une bonne chanson – il faut l’art et la manière de la raconter. Lui l’a, et sa voix de crooner flegmatique de coller à ses mots. Caméléon, il peut imiter le swing d’un Tom Jones comme il peut chanter une ballade fragile, sinon une «promenade» pour paraphraser le titre d’un de ses disques. Il s’inscrit dans la continuité des excentriques tourmentés sans retirer de son costard un humour «so British» – sa musique déborde sur les deux tableaux, le sublime et le burlesque, quitte à cabotiner, comme sur la pochette de Casanova, où il pose en playboy à Venise. Un morceau comme Victoria Falls prend aux tripes avec ses arpèges et son champ-contrechamp vocal, tandis que ses vignettes satiriques (Something for the Weekend ou Generation Sex) épinglent les mœurs avec ironie. Cette dualité fait école : l’influence de Neil Hannon se décèle chez un Jens Lekman, à mi-chemin entre le divin et la comédie.

Rétrospective d’une pop rétro

Ce sont les singles Something for the Weekend et Becoming More Like Alfie qui imposent le personnage du séducteur à l’œil qui brille, même derrière les lunettes de soleil. Le disque Fin de siècle (1998) ajoute d’autres couleurs à la palette : Neil Hannon y brocarde les dérives de la société du spectacle, comme la célébrité médiatique dans Generation Sex. En 2001, Regeneration abandonne la tonalité cabaret pour verser dans la sobriété, tout en s’approchant de l’introspection façon Radiohead – il faut dire aussi que c’est Nigel Godrich qui produit. Avec Absent Friends (2004), c’est le retour à la flamboyance, Neil Hannon voulant refaire, dixit lui-même, «la musique qui le rend heureux» – traduire par buffet de cordes à volonté ou grandeur des folies. Dans Victory for the Comic Muse (2006), il y a A Lady of a Certain Age, un portrait d’une aristocrate déchue, qui confirme qu’en plus d’être un bon «songwriter», Neil Hannon excelle toujours en «storywriter».

Plus mordant, Bang Goes the Knighthood (2010) épingle l’hypocrisie de l’élite politique et financière (The Complete Banker) sur des airs guillerets entre guillemets. Neil Hannon s’amuse aussi hors des sentiers battus : il écrit des chansons pour la télé (les génériques des sitcoms Father Ted et The IT Crowd), cosigne un album conceptuel sur le cricket (The Duckworth Lewis Method en 2009), le dandy sait désormais sur quel contre-pied danser. Dans les années 2010, The Divine Comedy resserre son élégance de salon en chronique du présent. Bang Goes the Knighthood (2010) inaugure l’ère «maison» puisqu’il sort sur le label du groupe, Divine Comedy Records, alors que Foreverland (2016) réactive l’imaginaire romanesque tout en plaçant Hannon au cœur d’un top 10 retrouvé. Avec Office Politics (2019), l’enrobage électronique est plus affirmé, entrecoupé de marimbas, pour parler de… la vie de bureau. Neil Hannon : «J’aime à croire que la seule chose qui a changé, c’est que je suis devenu meilleur dans ce que je fais.» La mise en abyme autobiographique atteint son apogée en 2021, dans le magnifique clip de The Best Mistakes réalisé par Raphaël Neal, un artiste majeur de l’imaginaire visuel du groupe; il s’agit de 30 ans d’iconographie de The Divine Comedy sur Hannon lui-même, comme une boule de discothèque qui refléterait toutes ses facettes.

Nostalgie intemporelle

Aujourd’hui, Neil Hannon sort Rainy Sunday Afternoon, son treizième album studio. Le titre même renvoie à une chanson de Jacques Higelin, On a Rainy Sunday Afternoon, sortie en 1979 – les grands esprits se rencontrent sous une nostalgie de pluie. À plus de 50 ans, Hannon revient ad lib à son goût pour une pop orchestrale «à l’ancienne», quitte à nager à contre-courant de la production 2025 et à boire la tasse amère. Partiellement financé par le succès de sa bande originale du film Wonka (Paul King, 2023), qui lui a offert un «ticket d’or» pour s’offrir un orchestre et des chœurs à Abbey Road, l’album retrace un parcours «mélancomique», mais c’est le spleen qui prime – il s’agit de son disque le plus introspectif, un examen des souvenirs et de la crise de la cinquantaine. C’est l’heure du bilan, un œil dans le rétro, comme avant, les oreilles droit devant, Rainy Sunday Afternoon serait alors un cousin pas si éloigné du disque grandiose et profil bas No Song No Spell No Madrigal de The Apartments sorti il y a pile dix ans.

Dans Rainy Sunday Afternoon, Neil Hannon aborde le deuil des êtres chers (The Last Time I Saw The Old Man, dédiée à son père qui était atteint d’Alzheimer), les cicatrices de l’Histoire (Achilles, qui puise son inspiration dans un poème écrit pendant la Première Guerre mondiale), mais aussi le présent (la parenthèse caribéenne Mar-a-Lago by the Sea, qui interpelle Trump du coude). Quant aux orchestrations, elles sont amples et fines, toujours, c’est la divine comédie dans son sens le plus cinématographique, y compris dans les moments les plus modestes comme sur Can’t Let Go, qui s’étire sur un peu plus de deux petites minutes au piano et qui ressemble à un thème de BO. Les points d’orgue émotionnels sont The Heart Is a Lonely Hunter et I Want You, des tubes de poche de manteau parfaits pour l’automne ou l’hiver quand le ciel est aussi noir que la neige est blanche. Au fond, Neil Hannon a raison de rester dans le rétro : plus le temps passe, plus il est meilleur dans ce qu’il fait.

Rainy Sunday Afternoon,
de The Divine Comedy.

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