Avant de fêter ses 20 ans l’an prochain, le groupe de reggae-punk The Disliked fêtera ce soir la sortie d’un nouvel EP, Underwater Rescue, à la Kulturfabrik. Entretien.
Formé en 2002, The Disliked s’est imposé comme un nom incontournable de la scène musicale luxembourgeoise, tant par sa longévité que par sa créativité. Punk, ska, reggae, évolution d’un genre à l’autre et ouverture vers d’autres horizons : ils revendiquent tout cela à la fois. Alors qu’ils fêteront bientôt leurs vingt ans de carrière, les sept musiciens sortent un EP de trois titres, Underwater Rescue, et célèbreront sa sortie ce soir, à la Kulturfabrik, autour d’un concert où, pendant une heure trente – «minimum», précisent-ils –, ils retrouveront le public avec des titres récents et quelques autres favoris.
C’est tout naturellement dans la simplicité de leur salle de répétition, à la Kulturfabrik – une pièce émaillée de stickers à l’effigie du groupe – qu’ils donnent rendez-vous pour leur entretien. Après un passage obligé par le Ratelach, le bar de la salle eschoise, où le «pit stop» est de rigueur. Le menu est toujours le même : Moscow Mule pour tout le monde. Le guitariste Cédric Metz avoue en riant qu’«au début, personne au Ratelach ne savait comment on s’appelait. Pour eux, on était Moscow Mule!» Rejoints plus tard par Raphaël Dumont (chant et piano), le troisième membre du noyau dur présent depuis les premiers pas du groupe, Cédric Metz et Laurent Biver (guitare) racontent le processus créatif derrière leur nouvel EP, réfléchissent au fonctionnement du groupe et à sa longévité, font le point sur les confinements successifs et s’amusent de quelques divagations philosophiques et musicales…
Votre nouvel EP, Underwater Rescue, a comme thème principal l’eau. Qu’est-ce que cela évoque pour vous?
Cédric Metz : L’eau, c’est une métaphore de toutes ces choses qui nous poussent, qui nous font avancer, tout en étant capable de résister à la pression sociale. Mais l’eau, c’est aussi un endroit où l’on passe beaucoup de temps. On a écrit des chansons lors d’une tournée dans le sud de la France en 2019, puis au lac de la Haute-Sûre… On aime être près de l’eau quand on est en période d’écriture.
Laurent Biver : Les gens ont tous des vies agitées. L’eau, c’est un endroit où l’on peut se ressourcer. La question que l’on s’est posée, c’est : où est-ce qu’on se sent bien?
C’est la période de crise sanitaire qui vous a donné envie d’explorer cela?
L. B. : C’est vrai qu’au niveau des concerts, c’était assez calme, et on s’est dit qu’on allait prendre le temps de nous concentrer sur cet EP et bien le sortir.
C. M. : Les chansons d’Underwater Rescue ont été écrites avant le confinement, en réalité, mais il y a effectivement quelques éléments de cette période qui y figurent. Ce qui est un peu bizarre, d’ailleurs, car cela nous a donné à voir une autre perspective sur les chansons. En revanche, nous avons aussi écrit des morceaux pendant le confinement, mais chez nous, écrire, ça prend du temps. Nos idées peuvent être terminées, puis retourner dans un tiroir et y rester un an!
Écrivez-vous les chansons ensemble?
L. B. : Ça dépend. Parfois, l’un arrive avec un texte, l’autre avec une mélodie et on assemble tout cela ensemble. Ou alors l’un vient avec une idée finie, puis la présente aux autre et quelque chose de complètement différent en ressort. On dit toujours qu’on doit passer le texte et la musique dans « la machine » : dans le groupe, on est sept à avoir un avis personnel. Si quelqu’un a quelque chose à dire, les six autres prennent cela en compte et on voit ce que ça donne.
C. M. : On joue aussi beaucoup sur le changement de perspective : Laurent, par exemple, a un style d’écriture particulier, Jean (Hommel, basse) aussi. Ce qui nous intéresse, c’est d’amener dans un texte le point de vue de quelqu’un d’autre pour qu’il s’y retrouve aussi. Ça peut prendre du temps.
L. B. : On ne veut pas que nos textes s’adressent ou correspondent à une personne en particulier, mais que tout le monde puisse les interpréter à sa manière, pour soi. C’est ce qui fait un bon texte.
C. M. : Il y a des trucs qu’on a écrits il y a dix ans, qui reflétaient des moments et des états d’esprit par lesquels on est passés à l’époque, mais que l’on joue encore sur scène aujourd’hui! Ce qui n’empêche pas de nous dire, parfois : « Ah, j’ai écrit ça!? » (il rit). Mais même si ça a dix ou quinze ans, ça fait partie de nous, et ça nous fait toujours plaisir de voir comment on peut intégrer cela à un set comme celui que nous allons jouer ce soir.
Comment avez-vous abordé la longue évolution de votre style?
C. M. : Avec Laurent et Raph, on fait de la musique ensemble depuis qu’on a quinze, seize ans. Certaines de nos chansons nous évoquent d’ailleurs des souvenirs : quand on distribuait nos premiers flyers au lycée, quand on organisait nos premiers concerts au café… C’était l’esprit de la scène luxembourgeoise, une vraie scène punk, avec les mêmes groupes tous les week-ends, les mêmes gens dans le public… Mais tout a changé depuis.
L. B. : On n’a jamais voulu ressembler à untel ou untel, ni nous limiter à un genre de musique. On s’est toujours laissé la liberté de faire ce que l’on pense être juste, ce qu’on ressent.
C. M. : La transition du ska au reggae a pris du temps, ce n’était pas quelque chose de facile. Il fallait analyser notre manière de jouer, voir comment on allait jouer tel ou tel morceau. Une bonne chanson peut être jouée en ska, en punk, en reggae, en pop ou en rock. Dans Underwater Rescue, d’ailleurs, il y a cet assemblage d’éléments qui fait que même après dix écoutes, on peut toujours y trouver de nouveaux trucs.
Si on aime autant ce groupe, c’est parce que, grâce à lui, on évolue tous en tant que musiciens, mais aussi en tant qu’humains. C’est une bonne école!
En vingt ans, la formation a souvent changé, certains d’entre vous ont déménagé, mais le groupe a toujours continué d’exister…
C. M. : On a eu de la chance, aussi! À chaque fois qu’un nouveau musicien est arrivé, on voulait qu’il fasse avancer le groupe, musicalement. Quand on s’est retrouvé sans bassiste et que Jean est arrivé, pour nous, c’était un nouveau monde! Il venait du jazz, jouait dans un groupe de rock, faisait plein de trucs…
L. B. : Pour nous, il jouait trop de notes (il rit), alors on essayait de le freiner un peu. Mais ça a été le cas pour chacun d’entre nous, on a dû tous se freiner.
C. M. : L’une de nos forces, c’est que l’on est tous prêts à se résigner face à la proposition d’un autre membre du groupe.
L. B. : Mais ça a clashé, et souvent! Parfois, le studio, c’était un ring de boxe… Mais on n’est pas prisonniers de notre ego. Si on aime autant ce groupe, c’est parce que, grâce à lui, on évolue tous en tant que musiciens, mais aussi en tant qu’humains. C’est une bonne école!
C. M. : Meilleure que l’autre école (ils rient)…
Avez-vous déjà pensé à revenir aux genres plus définis de vos débuts?
C. M. : Il est vrai que l’on a beaucoup réfléchi à refaire ou non un album de punk, mais on en est toujours arrivé à la même conclusion : on l’a déjà fait! On n’écrit jamais deux fois la même chose, mais des éléments de notre passé en tant que groupe resurgissent. C’est peut-être dû au fait que l’on écoute toujours beaucoup de musique ensemble quand on travaille.
Quelles écoutes vous ont inspirés pour Underwater Rescue?
C. M. : Beaucoup de choses! Fat Freddy’s Drop, The Cat Empire, des groupes qui élargissent les frontières des genres. C’est ce qui nous amène à nous faire des réflexions : ralentir le tempo de tel morceau, même si ça finit par donner quelque chose qui ne passerait pas à la radio, on s’en fout, tant que ça passe bien dans la musique. Pour cet EP, on a travaillé avec (l’ingénieur du son) Charles Stoltz, qui nous a donné son avis aussi sur ce qui allait ou pas dans nos morceaux : il a ajouté des éléments, déconstruit les morceaux, et c’est aussi ce qui a donné de la nouveauté à ce projet.
L. B. : Hier, on a écouté la nouvelle chanson de Stromae, qui a un « beat » cumbia. On était tous là, au complet, en train de danser. Depuis, ça tourne en boucle. Je l’ai encore écoutée ce matin…
C. M. : J’ai craqué hier soir : j’ai pris des tickets pour un de ses concerts! Récemment, j’ai aussi beaucoup écouté Wassermann, (du rappeur allemand) Jan Delay, un morceau dans lequel il raconte qu’il s’échappe au bord de l’eau… Comme quoi, on y revient toujours!
Underwater Rescue, de The Disliked.
«Release party» ce soir à 20 h.
Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.