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[Musique] Taylor Swift, entre «showgirl» et show-business


Qu’attendre du douzième album de Taylor Swift ? La star américaine dévoile cette nuit The Life of a Showgirl au terme d’une campagne promotionnelle qui démontre qu’elle est aussi douée pour la musique que pour les affaires.

Dire que cet album, qui comporte un duo avec Sabrina Carpenter, est attendu avec impatience, est un doux euphémisme. The Life of a Showgirl est en effet le plus préenregistré sur la plateforme de streaming Spotify. Taylor Swift, qui l’a notamment dévoilé dans le podcast de Travis Kelce mi-août, l’a présenté comme une plongée dans les coulisses de sa tournée géante l’an dernier, «dans la période la plus joyeuse, la plus folle et la plus intense de (sa) vie». «Cette effervescence transparaît» dans les douze morceaux qui le composent, a-t-elle promis.

À la production, on retrouve les Suédois Max Martin et Shellback, à l’origine du virage de la country vers la pop pris par la chanteuse sur Red (2012), 1989 (2014) et Reputation (2017). Le joueur de football américain Travis Kelce, auquel l’artiste de 35 ans est fiancée, a annoncé des «bangers» (des titres énergiques qui font danser), à l’image de 22 ou Shake It Off. De quoi présager d’un renouveau musical, après des albums folk (Folklore et Evermore en 2020) ou ceux plus introspectifs (Midnights en 2022 et The Tortured Poets Department en 2024).

Tons orange et tenues inspirées du cabaret

Pour essayer d’en savoir plus, les «Swifties» décortiquent le moindre détail délivré au fil de la promotion. On appelle cela des «easter eggs», soit des indices sur ses projets distillés dans les livrets de ses disques, ses clips, ses concerts et publications sur les réseaux sociaux. Les plus observateurs avaient ainsi remarqué que, dans une lettre adressée à ses fans en mai, l’artiste avait écrit le mot «thiiiiiiiiiiiis» avec 12 «i», laissant penser que son douzième opus était proche. Découvrant l’esthétique de The Life of a Showgirl, ces derniers se sont déchaînés sur les réseaux sociaux, pointant des signes dans des clips de 2022 ainsi que dans les costumes et les décors de sa dernière tournée.

Elle ne se contente pas de sortir un album : elle orchestre un phénomène culturel

Outre les tenues inspirées du cabaret, il y a aussi cette couleur orange omniprésente (et pailletée), choisie pour représenter l’esprit de l’album, qui interroge et fait parler. «C’est voyant, criard», commente Michael Kutek, rencontré dans la file d’attente d’un évènement promotionnel à New York et qui arbore cette teinte sur ses ongles. «Je m’attends à cela dans l’album mais dans le bon sens du terme!», dit-il. Son amie Sydney O’Shaughnessy, 28 ans, y voit elle le signe de «quelque chose d’explosif, de positif».

Une «chasse au trésor collective»

Il enchaîne : «Ce qui est intéressant, c’est que nous avons une esthétique mais nous n’entendrons aucun son l’heure de la sortie» de l’album, programmé pour ce matin à minuit. Les spéculations sont nombreuses et vont bon train, particulièrement sur les titres des douze morceaux. Pourquoi Taylor Swift, dont la musique a souvent été présentée comme le journal intime, convoque-t-elle l’Ophélie de Hamlet dans le single The Fate of Ophelia et l’actrice Elizabeth Taylor dans un morceau qui porte son nom? De quelle amitié gâchée parle Ruin the Friendship?

«Ce type de narration transforme chaque sortie d’album en une chasse au trésor collective», observe Robin Landa, professeure spécialisée dans la publicité et l’image de marque à l’université américaine Kean (New Jersey). Du coup, «les fans ne se contentent pas de consommer son art : ils y participent, ce qui renforce le lien qui les unit», développe-t-elle. Et «leurs théories, comme leurs spéculations sur les réseaux sociaux, font de son public une équipe promotionnelle», poursuit-elle, parlant des «easter eggs» comme «l’un des outils d’interaction avec les fans les plus brillants dans la musique aujourd’hui».

Musicienne ou femme d’affaires ?

Autre volet de cette stratégie marketing archimaîtrisée, la sortie de The Life of a Showgirl s’accompagne de séances spéciales dans les cinémas d’une cinquantaine de pays, à partir d’aujourd’hui et jusqu’à dimanche. À l’écran : un commentaire de l’album par l’artiste, un premier clip ou encore une version karaoké des morceaux. Selon le site spécialisé Deadline, ces projections devraient générer entre 30 et 50 millions de dollars de revenus aux États-Unis. Taylor Swift «prend la main sur tous les aspects de sa musique et de sa présentation au public», observe Toby Koenigsberg, professeur au département de musique de l’université de l’Oregon.

«C’est ce qui la rend unique» dans l’Histoire, poursuit-il. Mais, si on loue «son sens des affaires remarquable», on «néglige un peu le cœur de ce qu’elle fait : son talent d’autrice-compositrice», regrette-t-il. Depuis son premier album du même nom en 2006, la chanteuse «s’est avérée capable d’écrire de bonnes chansons de manière constante, comme presque personne d’autre n’en est capable», insiste encore Toby Koenigsberg. Pari à nouveau réussi pour The Life of a Showgirl?

The Life of a Showgirl,
de Taylor Swift.

Max Martin, le faiseur d’or pop »

Pour son nouvel album, Taylor Swift a rappelé le producteur Max Martin, qui a révolutionné la pop moderne avec une formule alliant technologie, simplicité et vision globale d’un morceau. S’il a commencé sa carrière dans le hard rock des années 1980, il se réoriente la décennie suivante vers l’écriture et la production, se retrouvant dans quelques morceaux de groupes suédois qui vont faire le tour du monde, comme Ace of Base ou Army of Lovers. Sans quitter Stockholm, il attire même le boys band américain Backstreet Boys, qui va lui offrir son passeport pour les États-Unis avec un premier album vendu à plus de 14 millions d’exemplaires.

Max Martin tranche vite par sa propension à façonner un son mais aussi écrire et composer. «C’est quelque chose qui a toujours été plus présent dans le hip-hop, où le producteur est souvent doué pour créer des « beats »», explique Michael Johnson, professeur au Berklee College of Music. «Ses tubes cherchent ce rythme qui reste en tête et fait bouger», abonde Clay Stevenson, professeur à l’université Elon. «Ajoutez des paroles universelles et répétitives à des boucles mélodiques entraînantes», ajoute-t-il, «et vous avez la formule Max Martin!».

Cette recette fonctionne comme aucune autre depuis trente ans, avec 25 singles classés n° 1 aux États-Unis, de Baby One More Time de Britney Spears à Blinding Lights de The Weeknd en passant par Roar de Katy Perry. Max Martin l’a mise au service de la jeune Taylor Swift (21 ans à l’époque), à la recherche en 2011 d’un nouveau son pour l’aider dans sa transition de la country vers la pop. «Il lui a appris comment faire de la pop monosyllabique, sans phrase à rallonge et avec des mots qui sont là pour soutenir la musique», décrit Eric Weisbard, professeur à l’université d’Alabama. «Dans la nouvelle ère Taylor Swift, les fans n’ont plus à suivre une histoire mais à vivre une aventure», observe Clay Stevenson. Et Max Martin «a joué un rôle crucial dans cette évolution».

L’approche très réglée du producteur de 54 ans, qui assimile, à certains égards, la musique à un produit, a inspiré, pour beaucoup d’observateurs, la K-pop, mais n’est pas du goût de tout le monde. «Il enchaîne tube après tube sans sembler se préoccuper de l’authenticité de la musique», selon Clay Stevenson. Pour autant, «les producteurs américains peuvent penser que sa musique, c’est du déjà vu, mais ils se mettent à la chanter après l’avoir écoutée». Pour Michael Johnson, cette image de Max Martin était surtout valable «quand il faisait les Backstreet Boys ou Britney Spears». Depuis, «il a gagné des cinq Grammys», rappelle-t-il. «Ce n’est plus la même histoire.»

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