Accueil | Culture | [Musique] «Takeover» chahute les classiques

[Musique] «Takeover» chahute les classiques


Nazz Nazz, Moof, Mad Fox ou Colette et Fernand repris façon metal ? Un nouveau projet dépoussière les standards musicaux «made in Luxembourg» pour mieux les redécouvrir et les faire vivre.

Que faire d’un patrimoine musical ? Comment l’inscrire dans l’Histoire pour ne pas l’oublier ? Et comment lui donner une seconde vie à travers la vision d’autres artistes? Voilà un questionnement multiple sur lequel se penche depuis maintenant dix ans The Grund Club, bienveillante association qui n’aime pas que les chansons se perdent dans les méandres du passé. L’idée, défendue âprement par l’un de ses instigateurs, Lata Gouveia, est claire : créer un réseau d’entraide et d’échange entre les auteurs, compositeurs et interprètes nationaux avec, dans une progression logique, la constitution d’un catalogue de morceaux «made in Luxembourg». Simplement parce qu’au pays, en raison de sa petitesse et son industrie à l’état de bourgeon, «beaucoup de musiciens et d’œuvres disparaissent vite de la mémoire collective».

Mais une décennie plus tard, le projet n’a pas eu le retentissement escompté, la faute à une approche trop informelle et un entre-soi pas vraiment rassembleur. Le constat est amer pour le plus américain des musiciens du Grand-Duché : «Aujourd’hui, on n’a presque rien à montrer et à partager. Oui, on a fait de belles photos, même un disque, mais ça n’est pas grand-chose. Il ne reste que des souvenirs et de belles amitiés…» Pour un collectif qui défend le geste patrimonial et l’archivage, l’issue est en effet paradoxale. Mais un anniversaire (prévu en septembre) est aussi une bonne occasion de se réinventer. C’est ce que compte faire The Grund Club, porté par la «vision» de son nouveau président, Luc Henzig. «Une grosse restructuration» arrive, promet même Lata Gouveia, détaillant à l’envi ce qu’il va se passer ces prochains mois.

La métamorphose du Grund Club

Outre un site internet flambant neuf, The Grund Club va s’appuyer sur deux alliés de poids (la Sacem et la Bibliothèque nationale) dans le but de devenir «le principal dépositaire des chansons» nationales. Pour ce faire, il va se présenter sous un jour plus «institutionnel», abandonnant les quotas et le bouche-à-oreille. «Les musiciens pourront eux-mêmes s’inscrire. On aura accès à leur biographie et leurs chansons, paroles et partitions comprises!» Même les vieux réflexes de l’association, principalement tournée vers l’artiste seul avec sa guitare, façon «auteur-compositeur-interprète», ne vont pas résister à la mutation. Dès lors, les groupes seront également les bienvenus, même lourdement armés. D’où aussi une collaboration «repensée» avec la Rockhal qui, pour le coup, n’a jamais aussi bien porté son statut de Centre de musiques amplifiées.

Quel que soit le style que l’on défend, au départ, il faut toujours une bonne chanson!

Première initiative du genre, «Takeover» frappe fort pour marquer le coup, certifiant sur le site de la salle : «Vos tubes luxembourgeois préférés comme vous ne les avez jamais entendus !». Soit d’un côté, trois groupes locaux (Praetor, Blanket Hill et Fusion Bomb) appréciant le metal exécuté à mille à l’heure qui en met plein les oreilles. De l’autre, un paquet de «hits», récents ou plus anciens, avec lesquels s’amuser. Entre les deux, toujours la même intention : faire (re)vivre un patrimoine musical à travers l’interprétation des autres, concept qui prouve au besoin que les frontières entre les genres sont franchement poreuses : «Quel que soit le style que l’on défend, au départ, il faut toujours une bonne chanson!», lâche Lata Gouveia, définitif. Selon lui, ici, ce n’est pas le matériel qui manque. Reste à savoir ce que le trio d’énervés va en faire avec.

Poignet en mille morceaux

Pour s’en assurer a minima, The Grund Club et le Rocklab ont mis côte à côte deux émissaires : Hugo Nogueira (membre de Lost in Pain et Praetor), figure appréciée du milieu qui endosse le rôle d’entremetteur; et David Wolff, superviseur à Belval. Ensemble, dans une pression «positive», ils ont «gentiment» poussé ces formations à sortir de leur zone de confort pour s’ouvrir à d’autres «univers», du rock à la pop en passant par des ballades jusqu’à des choses plus folkloriques, comme l’énumère la Rockhal. La liste, après accord des auteurs (une «obligation morale», précise Lata Gouveia), est en tout cas clinquante : le duo des années 1960-1970 Colette et Fernand ressort ainsi des limbes, tout comme la voix rocailleuse de Thierry Van Werveke avec ses Nazz Nazz, le Jason Donovan d’Echternach Ronnie Riff, les mauvais garçons de Moof et des choses moins datées (Mad Fox, Eternal Tango…).

Si par le passé, les membres de Preator se sont fait les dents avec des reprises de Metallica et de Sepultura, celles-ci sont d’une autre veine. Un «exercice particulier» pour Noémie Bourgois, la guitariste, qui lui a fait «découvrir» beaucoup de choses : certains standards du Luxembourg (elle qui est française) et les urgences le dimanche soir après un accident de voiture dans la foulée d’une répétition à Belval, la laissant le poignet en miettes. Une mauvaise surprise qui n’entame pas son positivisme : «C’est sympa de sortir de ses habitudes, de détourner des chansons pour ensuite les retrouver sur YouTube». Parmi les quatre travaillées, «adaptées à leur sauce», c’est celle de Desdemonia, groupe à l’ADN identique, qui leur a donné le plus de mal. «Question de respect», souffle-t-elle, car «on ne peut pas faire mieux que l’orignal».

Chanson «à boire» et accordéon

Pour sa part, à peine revenu d’une longue tournée en Europe en soutien du groupe grec Suicidal Angels, Miguel Teixeira Sousa, frontman de Fusion Bomb, a encore du pain sur la planche. «On n’est pas tout à fait au point», disait-il la semaine dernière, ce qui ne l’empêche pas de passer des moments «amusants» avec ses trois copains autour de la chanson «à boire» de Cool Feet ou celle d’Exchange, précurseur au pays avec son album de metal synthétique (Muscle and Blood, 1992). Des «vieux trucs» qu’il connaissait déjà, qu’il apprécie depuis longtemps et qu’il aime moderniser, ne serait-ce que pour rappeler leur existence : «Il y a beaucoup de chansons luxembourgeoises que les gens ne connaissent plus aujourd’hui. À mes yeux, c’est une bonne initiative de les remettre en lumière, et en valeur».

Point d’orgue de ce travail d’exhumation : un morceau de Colette et Fernand, où l’accordéon disparaît au profit des guitares puissantes. «Personne ne va la reconnaître tellement c’est lourd!», se marre le guitariste-chanteur, qui craint que le duo ne se retourne dans sa tombe. Il retrouve toutefois son sérieux quand il indique que le set de demain, au Floor de la Rockhal, sera filmé. «J’espère qu’on sera à la hauteur!». C’est ce qu’attendent aussi Lata Gouveia et le Grund Club, qui imaginent déjà, en cas de réussite de ce «Takeover» premier du nom, d’autres éditions consacrées à l’électronique, au reggae, au jazz… Avec au bout, l’espoir qu’un des groupes concernés «garde un morceau pour leur set normal», qu’il la fasse vivre et voyager avec lui. «La mission serait alors accomplie», justifie ce dernier. C’est vrai que jouer D’Hechtercher aus der Stad ou Neen déi Schnëss, à fond la caisse, dans l’un des nombreux festivals metal au pays, serait du plus bel effet. Et pour le coup, tout le monde s’en souviendra longtemps.

Trois groupes pour douze reprises

Blanket Hill

Ronny Riff / Stell elo keng Fro!
Brooze / M9
Colette a Fernand / Neen déi Schnëss
Eternal Tango / The Golden City

Fusion Bomb

Nazz Nazz / Red Eyes
Cool Feet / Drénkt e Patt op mech
Exchange / Heavy Times
Colette a Fernand / D’Hechtercher aus der Stad

Praetor

Mad Fox / Cool Cat
Desdemonia / Anguish
Rise Up / Liberation Song
Moof / Béise Jong