La pianiste luxembourgeoise Cathy Krier est de retour dans les bacs, demain, avec un cinquième CD, qui réunit des œuvres de Claude Debussy et de Karol Szymanowski.
Le piano grand-ducal se porte à merveille. Parmi ses meilleurs ambassadeurs internationaux, Cathy Krier, 32 ans, «Rising Star» de l’European Concert Hall Organisation en 2015, qui sort, demain, son cinquième album. Après avoir proposé sa version d’œuvres de Scarlati, Haydn, Chopin, Müllenbach et Dutilleux en 2008, de Leos Janacek en 2013, de Rameau et Ligeti en 2014 et de Berg, Schönberg et Zimmermann en 2015 dans l’album intitulé Piano – 20th Century, elle se penche cette fois sur Images 1 et 2 de Debussy ainsi que sur deux versions de Masques, une du même Debussy, l’autre de Karol Szymanowski.
C’est dans la Ville-Haute, à Luxembourg, autour d’un café que nous rencontrons Cathy Krier pour parler de son nouvel enregistrement. Une belle rencontre avec une jeune pianiste qui semble garder les doigts sur terre.
Avec ce nouvel album, vous restez sur des compositeurs du début du XXe siècle. Qu’est-ce que cette période a de si particulier et de si intéressant?
Cathy Krier : C’est une époque qui me fascine. D’ailleurs tous mes disques sont dédiés au début du
XXe siècle. Ce que je trouve particulièrement intéressant, c’est qu’après être allé tellement loin avec Wagner par exemple, on crée encore à cette époque : il y a la tonalité qui part, qui n’a plus tellement lieu d’être, et il y a plein de compositeurs qui cherchent de nouveaux chemins, de nouvelles façons d’écrire, de nouvelles logiques. Il y a donc de grandes écoles qui se montent : Schönberg avec le dodécaphonisme, Bartok qui tend vers la musique populaire en faisant une recherche étymologique ou encore Debussy, et l’école française, qui cherche une nouvelle façon d’écrire. J’adore donc ce début du XXe siècle parce que là, la musique part un peu dans tous les sens. Et puis, il y a une énergie particulière dans cette musique puisque tout le monde s’affranchit de tout ce qui s’est fait pendant les centaines d’années précédentes.
Avec Debussy et Szymanowski, on est donc en plein impressionnisme.
C’est ça. Bon, Debussy détestait qu’on l’appelle impressionniste, mais c’est vrai que c’est ce qui est resté. Quoi qu’il en soit, ce qui m’intéresse chez Debussy, c’est qu’il reste un des compositeurs qui ont écrit de grands cycles pour le piano, dont Images, qui est un tournant de sa vie de compositeur. Quand il a écrit le premier livre d’Images, il l’a envoyé à son éditeur en disant quelque chose du genre : « Sans fausse modestie, je pense que ça trouvera sa place entre Chopin et Schumann ». C’est dire s’il était très sûr de lui. Dans les deux livres, écrits à quelques années d’intervalle, on remarque encore une évolution dans son écriture, dans ce qui est impressionniste.
Justement, comment décrire l’impressionnisme en musique?
C’est très compliqué. Mais chez Debussy on peut dire que ce n’est pas hyper-concret, mais c’est quand même évocateur. À la fois flou et transparent. On voit d’ailleurs avec les titres de ces Images : Reflets dans l’eau, Hommage à Rameau, Mouvement, et surtout sur ceux du second livre : Cloches à travers les feuilles, Et la lune descend sur le temple qui fut, Poissons d’or, que c’est très poétique et évocateur. Il y a un parfum assez spécial. Quelque chose d’un peu magique.
J’adore le début du XXe siècle parce que la musique part un peu dans tous les sens
Suit, dans ce CD, un double Masques, d’abord celui de Debussy, puis celui de Szymanowski…
Oui, je trouvais ça marrant. Debussy a écrit une toute petite pièce qui s’appelle Masques, tandis que Szymanowski propose, une dizaine d’années plus tard, un truc monstrueusement difficile avec le même titre. Je trouvais ça assez chouette comme clin d’œil pour faire le lien entre les deux compositeurs.
Par le passé, vos albums proposaient plus un contraste, une différence entre les compositeurs, là au contraire vous avez opté pour une certaine ressemblance.
On ne peut pas toujours faire la même chose (elle rit). On dit toujours de Szymanowski que c’était l’impressionniste polonais. Mais bon, c’est un peu simpliste. Quand on écoute sa musique, c’est beaucoup plus contrasté, dans les nuances, dans l’effort, que la musique de Debussy qui reste très sensuelle. Ce que j’aime chez Szymanowski, c’est qu’à un moment, c’est beau et transparent et puis, il y a comme un choc, et on se retrouve dans la tradition esthétique russe, ou du moins d’Europe de l’Est. Dans Masques, il représente trois mythes classiques : Shéhérazade, Tristan et Iseut et Don Juan. C’est donc intéressant de voir comment ces deux compositeurs travaillent sur des pièces très évocatrices. L’approche est assez différente. Szymanowski raconte une histoire, tandis que Debussy l’évoque à travers une atmosphère.
Bref, les réunir dans un CD, ça fait sens.
Bien sûr. Personnellement je ne joue et surtout n’enregistre que des musiques que j’aime, mais j’essaye effectivement de faire des choix qui font sens. Enregistrer pour enregistrer… ça a déjà été fait, et ça coûte trop cher! Un CD n’est pas comme un concert, là, on laisse une trace indélébile, il faut donc non seulement être sûr de son coup, mais aussi faire quelque chose où on est certain d’apporter quelque chose de plus, de neuf. Et là, le fait de réunir ces œuvres dans un même CD, ça n’a jamais été fait avant. Et en tant qu’interprète, il faut toujours apporter un plus.
Qu’apportez-vous de plus?
Ça je ne sais pas. Mais je suis sûre de mon interprétation et de pouvoir laisser une trace en étant à 100 % certaine de ce que je fais.
L’album sort demain. Quand est-ce que le public pourra vous écouter sur scène avec ce programme?
En fait j’ai déjà joué ce programme la saison dernière à Dudelange. Je ne pars donc pas en tournée, comme peuvent le faire les musiciens de jazz ou de rock. Par contre, j’en proposerai des extraits lors du Luxembourg Classical Meeting (NDLR : vendredi et samedi de la semaine prochaine à la Philharmonie) et je vais continuer à jouer Szymanowski et Debussy, mais dans le cadre d’autres programmes. Sinon, rien à voir avec ce CD, mais je serai au Grand Théâtre de la ville de Luxembourg en janvier (NDLR : Funeral Blues) sur la musique de Benjamin Britten, et à la Philharmonie, avec l’OPL, pour un ciné-concert sur Amadeus (NDLR : de Milos Forman) où on jouera, bien sûr, du Mozart. Ce sera super chouette, même si ce n’est pas de la musique du XXe siècle. Enfin, avec Catherine Kontz et Tobias Ribitzki, on a monté Clara!, un projet pour les enfants sur la vie de Clara Schumann.
Pablo Chimienti