Son Little, artisan américain d’une soul régénérée, revient avec un album où sa voix est mise en avant, enfin assumée, tout comme les affres du passé et cette agression sexuelle dont il fut victime enfant.
Auparavant, «les bagarres étaient sans fin avec le boss du label (Anti-) Andy Kaulkin, qui trouvait que je me cachais sous des couches de production», raconte Son Little, Aaron Earl Livingston pour l’état civil. «Je n’aimais pas entendre ma voix, alors je tentais de l’enfouir. Pas cette fois. Je n’ai pas eu besoin d’attendre que des gens me disent d’enlever des choses, je l’ai fait de moi-même», poursuit-il, son éternelle casquette vissée sur le crâne.
Sur d’anciens morceaux, comme Goddess Wine ou Phantom Killer, sa voix est en effet filtrée ou trafiquée. Sur son précédent disque, Aloha (2020), enregistré à Paris, sa voix est au naturel, mais parfois calfeutrée. La pandémie et les différents confinements ont été bénéfiques à plus d’un titre pour ce musicien aux multiples collaborations passées, entre le groupe The Roots ou une voix légendaire de la soul, Mavis Staples.
«Il n’y avait plus rien à faire, pour la première fois en dix ans de carrière, plus de tournée, et c’était l’occasion de prendre le temps de m’entendre.» «Le mot important, c’est « isolement »», insiste encore l’auteur-compositeur-interprète. Aux confinements imposés, il superpose une solitude choisie en se retirant dans une cabane sur les bords du fleuve Delaware, dans l’État de New York.
Microdosage de LSD
Dans cet endroit reclus, il fait face à un passé qu’il avait également souvent tenté d’enfouir. Au début de la pandémie, il fouille un vieux placard et retombe sur ses journaux intimes, notamment celui écrit à neuf ans, où il couche sur papier l’agression sexuelle commise par un voisin, subie à l’âge de cinq ans. La première fois que le quasi-quadragénaire a tenté d’en parler, il avait 19 ans et sa mère lui a conseillé d’aller voir un psychologue. «Mais je n’étais pas prêt et je n’ai donné que du blabla», confie-t-il aujourd’hui.
Son Little s’est alors réfugié dans une fuite en avant, celle du musicien de tournée, avec la vie décousue parfois offerte en supplément. «À Londres, Paris, Amsterdam, c’était à chaque fois la même chose pendant les tournées : l’alcool, les drogues, les femmes (…) Mais quand on revient à la maison et qu’on ne peut pas dormir, ni la nuit ni le jour, on se dit qu’il y a un problème.»
Sur son quatrième et nouvel album, Like Neptune, sorti vendredi, des morceaux aux titres comme 6 AM et Stoned Love (qu’on peut traduire par «Amour sous défonce») évoquent en filigrane ses tourments passés, Il dit avoir trouvé aujourd’hui une «forme de paix intérieure». Le chemin sur la voie de l’apaisement fut long. Il a d’abord suivi une thérapie où il devait parler à ses doutes pour les identifier. Il est également passé par le microdosage de LSD, pratique venue d’Amérique du Nord pour lutter contre la dépression.
Acceptation de soi
Mais il avoue que la «respiration» trouvée dans la cabane au bord de la rivière a été décisive, avec «70 %» de l’album trouvé dans les deux semaines où il y a fait de la musique. Un isolement qui semble avoir été bénéfique à la réflexion intérieure, mais aussi à une forme de retour à ses racines musicales, le hip-hop, que l’on retrouve échantillonné dans les rythmes des différents morceaux, en ouverture (Drummer) ou dans le morceau-titre. Ailleurs, il convoque le blues (Bend Yr Ear) ou la sensualité d’un Prince (6 AM), en laissant planer sur l’ensemble le spectre du gospel.
Il y a dans Like Neptune une forme d’acceptation de soi et de la marche du monde. À l’image de ce morceau-titre, où même le plus gros poisson, celui qui a mangé les plus petits, se fera avoir par un minuscule ver accroché au bout d’un hameçon.
Like Neptune, de Son Little. Anti-